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Critique de Pooja, Sir : une enquête trop sage au cœur du conflit…

26 avril 2025
critique Pooja Sir Festival des cinémas indiens de Toulouse
C’est dans le cadre du Festival des cinémas indiens de Toulouse, en compétition pour le Prix du public et le Prix du jury étudiant, que j'ai pu découvrir Pooja, Sir, le nouveau film du réalisateur népalais Deepak Rauniyar. Connu pour ses œuvres engagées, le cinéaste poursuit son exploration des tensions sociales du Népal contemporain à travers un drame policier au potentiel riche.

Pourtant, malgré des intentions louables et un contexte brûlant, Pooja, Sir peine à dépasser son postulat de départ pour proposer une œuvre pleinement aboutie.

Le récit suit Pooja, jeune policière dévouée, chargée d’enquêter sur l’enlèvement d’un enfant dans une petite ville népalaise. Très vite, cette disparition prend une dimension plus large : elle met au jour les tensions profondes qui minent la coexistence entre la majorité népalaise et la minorité madheshi, souvent marginalisée et discriminée par les pouvoirs publics. À travers cette intrigue, Pooja, Sir ambitionne de dresser un portrait sans fard d’une société népalaise fracturée, où l’appartenance ethnique détermine encore tragiquement les trajectoires individuelles.

Sur le papier, la démarche est précieuse et nécessaire.

D'autant plus que le film a suscité de vives réactions à l’international. Sa sortie au Népal est d’ailleurs compromise par la censure, preuve que Deepak Rauniyar n’hésite pas ici à aborder de front des questions sensibles. On aurait donc pu espérer que le résultat soit à la hauteur de son sujet. Mais malheureusement, Pooja, Sir reste en deçà de ses ambitions. Si l’enquête policière capte d’abord l’attention, elle suit rapidement une progression attendue, accumulant les fausses pistes convenues et les révélations trop téléphonées. L'absence de véritables surprises affaiblit la tension dramatique et limite l’impact du dénouement, d’autant plus frustrant qu’il s'avère étrangement inachevé, laissant un sentiment d'incomplétude au spectateur.

La force du film réside en grande partie dans son interprétation, menée par une Asha Magrati convaincante dans le rôle-titre.

À travers Pooja, l’actrice propose une figure de femme tiraillée entre son engagement professionnel et ses blessures intimes. Fille d'un père autoritaire, incapable de faire le deuil de son fils disparu et rejetant son orientation sexuelle, Pooja incarne à elle seule plusieurs luttes intérieures, souvent réduites au silence dans la société népalaise. Cependant, et c’est l’une des plus grandes déceptions du métrage, ces aspects plus personnels ne sont qu'effleurés. On aurait aimé que le metteur en scène prenne le temps d’approfondir cet autre récit : celui d'une femme queer dans un environnement profondément conservateur. En l’état, ces bribes de vie privée restent à l'état d'ébauches, manquant donc cruellement d'impact émotionnel.

Autour d'elle, Nikita Chandak campe une collègue madheshi convaincante, porteuse de toutes les contradictions liées à son identité ethnique dans un système qui la discrimine. Mais là encore, l’écriture manque de générosité : le personnage, prometteur, est hélas sous-exploité, trop vite relégué au second plan au profit d’une intrigue policière qui ronronne. A contrario, Reecha Sharma crève l’écran dans le rôle complexe d'une mère ambiguë, dont les intentions troubles injectent au film une densité dramatique bienvenue. À travers elle, Pooja, Sir touche enfin quelque chose de plus viscéral et inquiétant, esquissant ce que le film aurait pu être s'il avait osé davantage.

Sur le plan formel, Deepak Rauniyar démontre une solide maîtrise technique. Sa mise en scène, sobre et précise, capte avec acuité l'atmosphère oppressante des petites villes népalaises, où les non-dits et les rancœurs sourdent sous une apparente normalité.

La photographie, élégante sans être ostentatoire, participe à maintenir une certaine tension, malgré la prévisibilité du scénario. Finalement, Pooja, Sir reste un film d'enquête de bonne facture, porté par des acteurs impliqués et par une volonté politique sincère. Il constitue une porte d’entrée notable pour découvrir la complexité du mouvement Madhesh et les luttes identitaires qui traversent le Népal. Mais à force de rester dans les clous du genre et de ne pas aller au bout de son engagement, il laisse malheureusement le spectateur sur sa faim. C’est d’autant plus regrettable que l’on sent derrière la caméra un réalisateur capable de bien plus d'audace et de radicalité.

En conclusion



Pooja, Sir est un film qui mérite d’être vu, surtout pour ce qu’il donne à voir et à comprendre, mais qui aurait gagné à se départir de ses prudences narratives pour véritablement marquer les esprits.
LA NOTE: 2,5/5

mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
lui écrire un petit mot ?