Critique de Saiyaara : le retour en grâce de la romance bollywoodienne…
22 juillet 2025

Mohit Suri, maître moderne du mélodrame romantique, revient au meilleur de sa forme avec Saiyaara, une production Yash Raj Films qui marque non seulement le renouveau bienvenu d’un genre désormais trop rare dans le paysage cinématographique indien, mais aussi l’éclosion de deux étoiles montantes : Ahaan Panday - cousin de l'actrice Ananya Panday - et Aneet Padda - vue en 2022 dans Salaam Venky, dont les prestations à l’écran sont tout simplement remarquables.
Depuis son annonce, Saiyaara a été comparé à Aashiqui 2 et semble ne s’être jamais caché de cette filiation.
Bien au contraire, le film l’assume pleinement, s’en nourrit et, d’une certaine manière, en livre la suite émotionnelle. Mais si les références affluent, le métrage oscillant allègrement entre Rockstar et N'oublie jamais, Saiyaara n’en reste pas moins une œuvre avec une personnalité propre, taillée pour faire chavirer les cœurs tout en offrant un miroir touchant, parfois imparfait mais sincère, sur les amours contrariées. Et si ses emprunts au film coréen A Moment to Remember sont indéniables, le nouveau né de Mohit Suri parvient quand même à trouver sa propre voix.
Ce qui frappe d’abord, c’est la performance phénoménale du débutant Ahaan Panday.
Dès sa première scène, l’acteur impose une présence magnétique, emplie d’une tension intérieure bouleversante. Sa voix rauque, son regard habité et cette douleur tapie derrière un sourire incertain… Tout chez lui participe à incarner un personnage profondément tourmenté. Il joue avec une vulnérabilité maîtrisée, toujours sur la brèche, entre éclats de rage et abandon émotionnel. En le voyant, on pense parfois à Ranbir Kapoor dans ses meilleurs moments, tant Ahaan parvient à nous faire ressentir de vives émotions sans jamais surjouer. Sa gueule d’écorché vif et son charisme brut dénotent des autres népokids de sa génération, qui peinent à réellement faire la différence. Et cette générosité, en particulier pour un premier essai devant la caméra, mérite d’ores et déjà d’être saluée comme l’une des plus belles surprises de l’année 2025.
Face à lui, Aneet Padda réussit le pari difficile d’exister pleinement.
La jeune actrice s’impose sans effort dans un registre plus retenu, mais sans jamais être effacée pour autant. Il y a chez elle une délicatesse de jeu, une émotion contenue qui ne tombe jamais dans le cabotinage mais se distille dans chaque regard, chaque silence. Elle rappelle parfois Mrunal Thakur dans la douceur de ses expressions, mais affirme déjà un style très personnel, fait de nuances et de profondeur. Sa capacité à transmettre la détresse de son personnage sans trop en faire force le respect. Ensemble, les deux comédiens forment un duo d’une complémentarité rare, faits l’un pour l’autre dans le déséquilibre même de leurs énergies.
Si l'on pourrait reprocher à Saiyaara de ne pas révolutionner la structure narrative du drame romantique - ce qui serait tout à fait exact – on ne peut en tout cas pas lui retirer la facilité avec laquelle il nous cueille.
Le scénario suit effectivement des sentiers bien balisés et les rebondissements sont parfois attendus, voire téléphonés. Pourtant, ce classicisme fonctionne précisément parce qu’il est assumé. Mohit Suri n’essaie pas de surprendre à tout prix. Il veut davantage émouvoir. Pleinement, sincèrement. Quitte à pousser les curseurs du mélodrame là où d’autres auraient reculé par velléité. Et c’est ce jusqu’au-boutisme qui donne à l’œuvre cette force rare : un refus de l’ironie moderne et du cynisme, au profit d’une foi totale dans l’amour, dans la douleur et dans la musique.
Alors certes, visuellement, Saiyaara n’est pas un film-spectacle. La mise en scène est fonctionnelle, dépourvue d’esbroufe, presque minimaliste par endroits. Les cadres sont sobres, les lumières hésitent rarement entre le clair et l’obscur, et la caméra préfère souvent se focaliser sur les visages. Chez certains, cette économie pourrait passer pour un manque d’ambition. Mais ici, elle s’inscrit dans un choix formel cohérent : mettre l’esthétique au service de ses protagonistes. Ainsi, chaque plan resserré sur un regard torturé ou un geste esquissé suffit à dire l’essentiel.
Impossible de parler de Saiyaara sans évoquer sa bande-originale, qui s’impose comme l’une des plus belles de ces dernières années.
Composée par une armada d'artistes parmi lesquels Mithoon, Tanishk-Bagchi ou encore Vishal Mishra, l'album du métrage en est non seulement l'une des plus grandes forces, mais il constitue également l'âme de son récit. La chanson titre, portée avec une élégance rare par la révélation Faheem Abdullah, promet de devenir un classique instantané, à ranger aux côtés des grands morceaux d’Aashiqui 2. Quant à « Humsafar », elle condense à elle seule tout ce que le film réussit : une émotion pure, portée par de riches arrangements et une interprétation vocale déchirante signée du couple Sachet et Parampara Tandon. Mais sincèrement, chaque son possède sa propre identité et mérite que l’on s’y attarde.
La musique n’est d'ailleurs pas un ornement chez Mohit Suri. Elle fait partie intégrante de son langage cinématographique, elle prolonge les dialogues, éclaire les silences. Et dans Saiyaara, elle est un véritable ravissement.
Ce qui frappe, au final, c’est à quel point une proposition comme Saiyaara semble hors du temps, presque anachronique dans le meilleur sens du terme. À l'ère d’un cinéma hindi oscillant entre superproductions creuses et récits au sous-texte politique opportuniste ; Saiyaara revendique l’émotion pure, la sincérité et l’abandon au sentiment. Cela faisait longtemps que je n’avais pas été autant bouleversé par un drame romantique hindi, un genre pourtant fondateur de Bollywood mais désormais si malmené.
En conclusion
Le message final de Saiyaara peut paraître naïf sur le papier. Nous faire croire que l’amour peut transcender les maladies, la douleur et même la mort, c’est un pari utopique. Mais ici, il est particulièrement efficace. Il touche en plein cœur parce qu’il est incarné avec tant de ferveur, de vérité et de justesse qu’on ne peut que suspendre notre jugement et plonger la tête la première. On y croit, envers et contre tout. On veut y croire. Et c’est peut-être ça, le plus beau : que Saiyaara, par sa foi dans le pouvoir du cœur, nous redonne envie de croire en des émotions que le monde moderne tente de nous faire oublier.
En cela, Mohit Suri signe une œuvre profondément maîtrisée et touchante, qui relève le défi de ressusciter un cinéma de l’émotion qu’on croyait perdu. Saiyaara, c’est donc le retour d’un romantisme pur, excessif, sincère. Un cri du cœur dans un monde trop raisonnable.
LA NOTE: 4,5/5