Critique de Lokah : Chapter 1 – Chandra, la super-héroïne qui enterre la concurrence…
31 août 2025

A travers l’œil incisif de Dominic Arun, dont c’est seulement la seconde réalisation, la mythologie indienne s’incarne dans une fresque flirtant avec l’apocalypse, portée par une direction artistique extrême qui module néons et flammes comme jamais auparavant dans le cinéma dravidien. Ici, la ville, brûlante et dévastée, devient un personnage à part entière, son chaos étouffant sculptant déjà l’archétype d’un univers filmique voué à s’étendre.
La force majeure de Lokah réside dans sa capacité à conjuguer la richesse du folklore du Kérala – à travers le conte de Kalliyankattu Neeli - avec l’énergie d’un cinéma d’action contemporain.
Plutôt que de s’abandonner à l’exposition verbeuse, Dominic Arun préfère l’ellipse, le fragment de récit à recomposer. Dès la séquence d’ouverture, la figure de Chandra, incarnée par une Kalyani Priyadarshan stupéfiante d’ambivalence, surgit en guerrière impavide, son regard creusé par la promesse d’un vécu séculaire. Ce personnage, qui transcende largement son archétype, n’est jamais réduit à un simple corps : ses silences autant que ses combats millimétrés témoignent d’une intériorité abyssale, habilement suggérée par la caméra qui épouse tous ses élans.
L’univers esthétique du métrage est d’une nouveauté saisissante, et la photographie de Nimish Ravi construit un espace gothique où l’organique se mêle au surnaturel.
Chaque plan semble ciselé comme un tableau expressionniste où la lumière, la texture de l’image et la colorimétrie participent à une véritable dramaturgie visuelle. Même les effets spéciaux, pourtant rares, se déploient avec une efficacité chirurgicale… Là où l’esbroufe pourrait guetter, le metteur en scène utilise le budget resserré pour privilégier la tension, l’attente et la suggestion, rappelant que la puissance du mythe tient plus du hors-champ que du spectaculaire putassier.
La montée en puissance de la narration relève moins de la linéarité que du vertige. L’intrigue se détache rapidement de sa prémisse initiale - la mission de Chandra à Bangalore, d’abord investie d’un poids existentiel, laisse place à un arc beaucoup plus terre-à-terre : le trafic d’organes. Car si cet enjeu atténue par moments la portée épique du récit, il sous-tend surtout la logique d’un univers partagé, préméditant déjà ses propres prolongements.
Pourtant, ce qui tient le film est ailleurs : dans la jubilation des ruptures de ton.
L’humour s’insinue, court-circuitant la pesanteur tragique avec brio. Le jeune Naslen, formidable révélation de la romcom Premalu, excelle à donner à son damoiseau une maladresse comiquement tragique. Tandis que Chandu Salimkumar et Arun Kurian, en compagnons naïfs, apportent cette touche indéfinissable qui relie le quotidien à l’extraordinaire. L’œuvre ose même les clins d’œil méta-narratifs, via des caméos jubilatoires - que l'on tiendra secrets - et qui réconcilient fan service et promesse d’élargissement mythique.
A la noirceur assumée de l’univers répond la prestation magnétique de Sandy, antagoniste misogyne qui pousse son incarnation jusqu’à l’excès jubilatoire, imposant au récit le contrepoint baroque nécessaire. Le montage de Chaman Chakko donne au tout une cohérence rythmique irréprochable, tandis que la partition de Jakes Bejoy, oscillant entre épique et contemporain, infuse à chaque séquence cette tension continue qui fait la marque des grandes fresques du genre.
En conclusion
C'est la fulgurance de son univers esthétique et mythologique que Dominic Arun ose dessiner avec panache qui reste en mémoire. On y éprouve alors un bonheur rare : celui de contempler une héroïne non sexualisée et dotée d’une profondeur narrative, de voir émerger une mythologie féminine débarrassée des clichés habituels du genre et surtout de pressentir, dans l’éclat mordoré d’une scène post-générique excitante, l’éclosion d’un véritable MCU malayalam, enraciné dans les légendes autochtones. Lokah : Chapter 1 - Chandra est un acte de foi visuel et sidérant, un manifeste esthétique et culturel. Sa projection dans les salles s’impose comme un événement à la fois radical et jubilatoire, le genre de spectacle rare où l’on devine que, cette fois, le cinéma populaire indien a réellement touché la légende.
Lokah : Chapter 1 – Chandra, en salles le 29 août 2025
Une sortie EpicXperience
LA NOTE: 5/5