Critique de La légende de Baahubali - Première Partie : la lente montée vers le plaisir héroïque...
27 octobre 2025

On ne présente plus le phénomène Baahubali. J’en parlais déjà dans ma critique de Magadheera, qui figurait dans notre onzième parution de Bolly&Co, sortie en septembre 2017. En ce qui me concerne, j’ai longtemps ignoré le phénomène. Non, je ne suis pas une snobinarde. Mais lorsqu’un film est grandement encensé, j’ai toujours peur d’être déçue face au produit fini. D’autant plus quand d’une seule voix, tous les fans s’accordent à présenter le métrage comme l’oeuvre du siècle... Calmons-nous !
J'ai donc psychologiquement besoin de prendre de la distance avec l'effet boule de neige qui suit un grand succès populaire, besoin d'oublier presque l'engouement qui l'entourait pour ne m'attacher qu'au film en lui-même, sans nourrir de trop grandes espérances qui pourraient nuire à l'expérience que j'en ferai.
« Baahubali, c’est trop une tuerie ! Genre, je kiffe trop les films télougous, même si c’est le seul que j’ai vu... Ah mais t’as pas vu Baahubali ? Et genre, toi t’es fan de films du sud ? » Du brin, je regarde des films télougous depuis 2010 ! J’ai épluché les carrières de Prabhas, Rana Daggubati, Ramya Krishnan encore Nassar et j’ai pas attendu qu’une groupie en carton débarque en ayant regardé UN film télougou pour me donner l’impression que je ne connais rien ! Oui, ma cocotte, j’ai connaissance du projet Baahubali depuis 2011. J’ai délibérément évité le métrage à sa sortie pour éviter d'être influencée par les réactions complètement exagérées d’admiratrices de la dernière heure qui ont davantage apprécié la plastique de Prabhas que son jeu d’acteur. Voilà ! Ça fait du bien ! Je peux revenir à ma critique. Calmement.
Donc je me retrouve face à Baahubali après en avoir entendu tout le bien du monde.
Heureusement pour moi, la fièvre qui entourait le métrage s’est quelque peu tassée, me permettant de savourer l’oeuvre telle qu’elle est, sans que mes expectatives soient démesurées. Je pense ainsi pouvoir restituer mon regard sur ce film sans attacher de réelle importance aux conséquences de sa sortie sur le box-office. Je ne ferai pas partie des groupies qui baveront devant Prabhas, parce que j’ai déjà vu plusieurs films de sa filmographie et que je n’ai pas fait de découverte avec Baahubali. Je connais le casting et le réalisateur. Bon, pas personnellement, mais je suis coutumière de leurs travaux respectifs. Donc Baahubali sera jugé en tant qu’oeuvre unique, indépendamment de la Prabhas mania déclenchée par le film.
« - Prabhas, c’est trop mon acteur préféré, t’as vu...
- Oui, et t’as vu quels films avec lui ?
- Bah Baahubali, voyons !
- Et ?
- Ah, il a fait d’autres films ? Mais je savais pas ! Non parce que moi, je l’aime à mort parce que je le trouve trop beau ! »
Vous avez de l’arsenic ?! Je vais avaler ça...
Le film démarre. La reine mère Sivagami (Ramya Krishnan) tente de sauver son petit-fils du redoutable Bhallaladeva (Rana Daggubati). Emportée par les flots, elle parvient à sauvegarder la vie de l’enfant, qui sera recueilli. Bien des années plus tard, Shivudu (Prabhas) a une force herculéenne. Il vit avec sa mère adoptive Sanga (Rohini) au pied d’une montagne qu’il espère un jour franchir pour en découvrir les mystères. Envoûté par l’image de la belle Avanthika (Tamannaah), il parvient enfin à grimper le gigantesque rocher pour embrasser la mission de sa bien-aimée : renverser le régime de Bhallaladeva et libérer la princesse Devasena (Anushka Shetty), retenue captive par l’impitoyable roi...
Sorti en 2015, Baahubali devient alors le film indien le plus onéreux de l'histoire avec un budget avoisinant les 17 millions d'euros.
On est donc loin des sommes pharamineuses des grosses productions américaines. Il est donc tout à fait logique que les effets visuels de Baahubali ne soient pas comparables à ceux des productions Marvel, par exemple. Néanmoins, les VFX constituent une agréable surprise tant ils contribuent à établir l’univers du métrage. Les prises de vue et les cascades amènent la magie qui fait de Baahubali une expérience atypique tout à fait séduisante. C’est d’autant plus remarquable que Rajamouli a fait appel à une équipe uniquement indienne pour ses effets spéciaux, principalement basée à Hyderabad. L’esthétisme du film sert son propos sans jamais l’engloutir. Surtout, le travail visuel de Baahubali n’est pas le seul qui soit abouti. S.S. Rajamouli a effectivement mis autant d’attention et de coeur dans son écriture et dans l’étayage de ses personnages.
S’il y a bien un lead, incarné par Prabhas, le film tient sur ses deux jambes grâce à l’entièreté de ses protagonistes, sans lesquels le héros Baahubali n’a pas de raison d’être. Petit conseil absolument essentiel pour apprécier les multiples dimensions de Baahubali : voir le film dans sa langue d’origine. Car vous n’êtes probablement pas sans savoir que le plébiscite populaire du métrage a été tel que des versions doublées en hindi ou encore en malayalam ont été distribuées. Et certains fans font l’erreur de choisir ces versions, qui dénaturent le jeu des acteurs et font perdre l’impact des répliques, travesties par une traduction plutôt hasardeuse.
Pour ma part, j’ai vu Baahubali en télougou, qui constitue l’idiome d’origine du métrage. Le projet a été simultanément tourné en tamoul, il a d’ailleurs été distribué en France dans cette langue ainsi que dans sa version doublée en hindi. Mes chers amis, fuyez le doublage ! Les voix de Prabhas, Sathyaraj ou encore Rana Daggubati donnent vie aux personnages qu’ils incarnent, alors ne passez pas à côté !
Très honnêtement, je me suis ennuyée pendant la première heure du film.
Mais vraiment. Tout au long de cette heure, je me suis demandée ce que tous ces gens avaient bien pu voir de si fantastique dans ce métrage. Alors oui, tout est très joli à regarder, la musique est fort sympathique... Certes. Mais l’enclenchement de la trame fonctionne au ralenti, et c’est d’un ennui mortel ! J’aurais trouvé moins rasoir de regarder les cheveux d’Eric Judor pousser ! J’entends bien qu’il faille planter le décor et instaurer l’atmosphère singulière de Baahubali, créer des repères auxquels le spectateur pourra se référer par la suite... Mais hélas, le lancement du film est trop calme pour moi. J’ai d’ailleurs cru que je décrocherai progressivement de l’oeuvre jusqu’à sa conclusion...
Et là, je me suis prise une claque ! Car dès lors que le personnage de Shivudu découvre son histoire, Baahubali prend un tournant et nous embarque.
Personnellement, j’ai adoré Baahubali plus d’une heure après son démarrage, pour ne plus m’en détacher. « Wouah, il se passe quoi ?! Je l’avais pas vu venir, c’est ouf, j’adoooooore ! »
Oui, car le contraste entre la première partie de l’oeuvre et la seconde est vraiment démesuré, l’un manque de souffle quand l’autre est une tempête de couleurs, de relief et de rebondissements. Il est donc nécessaire de ne pas se décourager face au début de Baahubali, qui prend trop de temps à s’installer. Car une fois lancée, l’intrigue ne nous lâche plus tant elle est formidablement rodée.
La distribution est absolument incroyable et ne déçoit pas. Rana Daggubati est un antagoniste fin et charismatique, qui évite tous les clichés du méchant pas beau et pas subtil. Au contraire, il dégage une présence unique qui le rend totalement envoûtant dans le rôle de Bhallaladeva. La psychologie de ce personnage est sans doute la plus étoffée, l’aspirant roi avançant ses pions avec stratégie et intelligence sans jamais éveiller les soupçons. Aussi, le jeune homme est grandement influencé par son père, conditionné dès l’enfance à devenir roi par ce dernier. Car c’est en quelque sorte Bijaladeva qui souhaite accéder au trône au travers de son fils. Bhallaladeva est le produit du ressentiment de son père. Il est né pour accomplir son voeu et devenir le roi que Bijjaladeva n’a jamais pu être. Par ailleurs, Nassar est impeccable dans ce rôle d’homme diminué qui compense son handicap physique par une colère infinie. Car contrairement à son fils, Bijjaladeva vocifère, s’agite et crapahute là où sa progéniture s’applique à agir en silence.
Prabhas est impeccable dans les rôles de Shivudu et Baahubali.
Cependant, il porte encore le costume du héros omnipotent au coeur pur, auquel il était déjà habitué dans les masala qui ont fait sa gloire. Et clairement, si l’acteur s’impose sans difficulté au sein du casting démentiel de cette grosse production, ce n’est pas lui qui se distingue. La prouesse de Prabhas est avant tout d’être parvenu à ne pas s’effacer aux côtés des monuments que sont Ramya Krishnan, Nassar et Sathyaraj. Jamais il ne se fait dépasser et vient au contraire incarner le guerrier grandiose Baahubali avec vigueur.
Justement, la grande dame du cinéma dravidien Ramya Krishnan est magnétique en reine mère vibrante et habitée par les enjeux de son titre. Elle est le personnage féminin mémorable de ce premier volet, le seul qui ait bénéficié d’une écriture vraiment appuyée, là où celui de Devasena (incarnée par Anushka Shetty) n’est qu’esquissé pour annoncer la seconde partie du diptyque.
J’ai en revanche été déçue par le personnage d’Avanthika, dont j’attendais qu’il soit davantage impliqué dans le déroulement des événements.
Car au départ, on a affaire à une vraie ‘badass’ ! Et Tamannaah étant l’une de mes actrices favorites, j’étais donc ravie de la retrouver dans un tel registre et surtout dans la peau d’une héroïne forte et valeureuse. Hélas, elle n’échappe pas à la tendance « pot de fleurs » et devient vite l’insipide donzelle qui vient servir l’intention (ainsi que la vie affective) du protagoniste masculin. Avanthika est pourtant présentée comme une guerrière pleine de verve et d’engagement, prête à tout pour mener à bien sa mission. Mais il suffit que Shivudu lui fasse brièvement la cour pour qu’elle se détourne de son objectif initial. Aussi, j'ai été quelque peu chiffonnée par la scène durant laquelle Shivudu "relooke" Avanthika, faisant ainsi en sorte qu'elle corresponde aux codes de beauté attendus au cinéma : teint clair, corps découvert et maquillage suggestif... affligeant !
Ce qui me dérange profondément, c’est qu’Avanthika ne se sent belle que lorsqu’elle cède à ces règles. Le message est douteux, d’autant plus qu’il est ici imposé par l’homme. « Ok, t’avais des convictions et des envies. Sauf que moi, en tant que mâle, je vais te montrer quel est ton vrai rôle. Sois belle et tais-toi. C’est moi, le mec. C’est moi qui gère. » Youpi. Je vous laisse imaginer mon aberration face à ces images.
Tamannaah a reçu une nomination aux South Filmfare Awards pour le trophée de la Meilleure Actrice. Pourquoi ? Je me le demande encore. Car Avanthika apparaît en tout et pour tout 30 minutes sur l’intégralité de la bobine. Elle est l’élément déclencheur des événements et incarne la muse de Shivudu, mais elle reste hélas trop en retrait d’une lutte qui était au départ la sienne.
Au final, le personnage qui suscite le plus de curiosité est celui de Kattappa.
Esclave dévoué à la famille royale de Mahishmati, il touche par sa tendresse, sa bienveillance et son humilité. Kattappa est en quelque sorte un héros qui s’ignore, et c’est ce qui le rend si attachant. Sathyaraj est la très bonne surprise de Baahubali, et pas uniquement à cause de l’épilogue au centre duquel son personnage réside.
La bande-son est composée par M.M. Keeravani. Indissociable de la réalisation de Rajamouli, la musique est sublimée par les images qui l'accompagnent. En ce sens, le morceau « Dheevara » m’a réellement saisie aussi bien grâce au travail de direction musicale qu’aux tableaux absolument magnifiques qui en font le sel. Tamannaah est absolument angélique dans cette séquence musicale, qui sonne comme un rêve. J’ai également adoré l’incontournable item number « Manohari », avec trois danseuses de charme pour séduire Prabhas : Scarlett Mellish Wilson, Nora Fatehi et Sneha Upadhay. La voix de Mohana Bhogaraju sublime ce titre exotique et enivrant.
En conclusion
Baahubali est une fresque fantastique audacieuse mais inégale. Le culte du héros divin y est porté à son paroxysme, bellâtre lumineux et sans défaut. La relative misogynie de certaines séquences m’a froissée, mais n’a pas occulté les atouts de ce métrage ambitieux. Baahubali est surtout annonciateur d’une suite époustouflante et s’appuie sur un cliffhanger de folie. Et rien que pour ça, c’est une oeuvre à voir.
LA NOTE: 4/5
