Les artistes pakistanais peuvent de nouveau travailler en Inde ?! On vous explique...

jeudi 9 novembre 2023
Inde Pakistan bannissement films indiens Bollywood
Depuis 2016, de nombreux artistes pakistanais ne travaillent plus à Bollywood. Finies les ballades romantiques chantées par Atif Aslam, ou les projets cinématographiques de l’excellent Fawad Khan, un bannissement prend place. 7 ans plus tard, la Haute Cour de Bombay affirme que rien n’empêche ces artistes de venir en Inde et de travailler pour le cinéma. Est-ce donc vraiment le grand retour de nos stars pakistanaises favorites ?

Décryptage en date de l’interdiction et de ses conséquences :



18 septembre 2016

4 militants soupçonnés d’appartenir au groupe terroriste Jaish-e-Mohammed, attaque la base militaire Uri, située au Cachemire. L’Inde accuse le Pakistan. Pour eux, le pays ne fait absolument aucun effort pour empêcher la création et l’organisation de ces groupes terroristes, qui attaquent continuellement les établissements de l’armée indienne. De plus, Uri est proche de la Ligne de Contrôle, une frontière militaire qui sépare le territoire indien (Jammu-et-Cachemire) du territoire pakistanais (Azad Jammu-et-Cachemire). Par conséquent, l’implication pakistanaise semble évidente.

Le Pakistan est un État terroriste qui devrait être désigné et isolé comme tel”, tweete le ministre indien de l'Intérieur Rajnat Singh.

23 septembre 2016 Le parti politique d’extrême droite Maharashtra Navnirman Sena (MNS) menace les artistes pakistanais. En effet, le leader du mouvement, Amey Khopak, indique qu’ils ont jusqu’au 25 septembre pour quitter le territoire indien. Le tout sous la forme d’un ultimatum de 48 heures posé à des célébrités comme Fawad Khan, Mahira Khan ou encore Ali Zafar. La police de Mumbai promet de prendre en charge la sécurité des personnes menacées (célébrité ou non) face à la montée des tensions contre les Pakistanais et surtout, contre les musulmans du pays.

29 septembre 2016.

Le IMPPA (Indian Motion Picture Producers’ Association, une organisation privée pour les droits des producteurs indiens) déclare le bannissement officiel des artistes et techniciens pakistanais en Inde. Tous les projets en cours sont alors mis à l’arrêt, et même les sorties prochaines ne sont pas à l’abri d’être indéfiniment reportée, notamment les films Dear Zindagi (avec Ali Zafar) Raees (avec Mahira Khan) ou encore Ae Dil Hai Mushkil (avec Fawad Khan).

Les appels à la violence et aux boycotts de tous les événements liés à des artistes pakistanais augmentent également, notamment à l’encontre des musiciens. Les chanteurs Shafqat Amanat Ali et Atif Aslam, par exemple, voient leurs concerts à Bangalore et Gurgaon annulés.

De nombreux partis politiques d’extrême-droite attaquent même des célébrités du cinéma indien en les taguant d’anti-nationalistes s’ils n’acceptent pas la décision de bannissement et/ou s’ils collaborent avec des artistes pakistanais. Cela conduit à une division au sein de l’industrie, entre ceux qui soutiennent le choix du gouvernement et ceux qui sont révoltés, ne considérant pas ce bannissement comme une façon de stopper le terrorisme. Ce conflit remet également en lumière les boycotts déjà ordonnés sur des artistes qui, selon certains, seraient contre l’Inde et devraient quitter le pays. Comme Aamir Khan qui, fin 2015, avait tweeté que sa femme ne se sentait pas en sécurité en Inde face à la montée de l’intoléreance religieuse (et est devenu la cible de moqueries sur les réseaux). Salman Khan a également dû s’exprimer sur le sujet, rappelant qu’un artiste n’est pas un terroriste. En 2015, il était à l’affiche du plus gros plébiscite de l’année, Bajrangi Bhaijaan, dans lequel un indien aide une jeune pakistanaise à rentrer chez elle en toute sécurité. Une cible idéale pour les “troll” pro-hindous qui circulent sur les réseaux et inondent les stars d’insultes et de menaces de mort.

18 octobre 2016.

Pour assurer la sortie de son film Ae Dil Hai Mushkil, Karan Johar décide de publier une annonce sur Youtube dans laquelle il affirme qu’il ne travaillera plus avec des artistes pakistanais compte-tenu du contexte politique actuel. Poussé à bout par le MNS, il conclut un marché qui confirme l’arrêt des protestations contre son métrage. Il paiera même 50 millions de roupies (5 crores) à l’armée indienne pour se faire pardonner. D’autres devront suivre le même deal s’ils souhaitent la sortie de leurs projets. A noter que l’armée indienne refusera d'accepter tout argent dans le but de rester en dehors des conflits politiques.

Cet acte de la part d’un des réalisateurs les plus populaires du cinéma hindi fait froid dans le dos et montre jusqu’où l’extrême droite pro-hindoue de Narendra Modi (puisque le Bharatiya Janata Party - le BJP, parti politique du premier ministre, garde le silence face à toutes les actions menée par le MNS qui n’hésite pas à faire appel aux menaces et à la violence pour appliquer le bannissement) est prête à aller pour transformer le monde du cinéma selon ses desseins.

Novembre 2016.

Le Pakistan Electronic Media Regulatory Authority (ou PEMRA, un organisme qui gère la diffusion des médias) impose un premier bannissement des films et séries indiens à la télévision et à la radio. La cour suprême de Lahore l’annulera un an plus tard, précisant que le gouvernement n’a aucun problème avec la diffusion des productions indiennes sur ses chaînes.

26 janvier 2017.

Sortie du film Raees, dernier gros métrage ayant à son casting une personnalité pakistanaise. Farhan Akhtar (producteur du film, ndlr.) ayant refusé les conditions de MNS, parvient tout de même à diffuser le film en salles. Même Devendra Fadnavis, ministre en chef de l’état du Maharashtra, membre du BJP et du RSS (Rashtriya Swayamsevak Sangh, un autre partie d’extrême-droite), avouera que les demandes du MNS n’étaient en aucun cas obligatoires et que Shahrukh Khan est une « icône », un vrai “Mumbaikar” (habitant de Mumbai, ndlr.).

Cependant, le bannissement empêchera l’actrice Mahira Khan de venir en Inde et de faire la promotion du film (dont ses scènes auront été largement réduite lors du montage, ce qui est arrivé également à Fawad Khan dans Ae Dil Hai Mushkil.). Pire, le métrage ne sera même pas projeté au Pakistan, qui jugera le propos de Raees controversé.

A savoir :



L’Inde qui boycotte le Pakistan n’a rien de nouveau. Déjà en 2013, les tensions militaires au Cachemire avaient conduit à l’annulation de plusieurs évènements culturels. Les partis du Shiv Sena (encore des nationalistes extrémistes) et du BJP faisaient alors pression pour retirer des programmes toute œuvre ou personnalité pakistanaise (écrivains, danseurs, sportifs…).

Octobre 2018

Le Pakistan demande à nouveau de bannir les films indiens. Cette fois, c’est The Pakistan Film Producers Association (PFPA) qui réclame un arrêt total des projection de films indiens dans une lettre adressée au premier ministre Imran Khan. Après le bannissement de métrages comme Padman, Veere Di Wedding, Mulk et Raazi (pour des raisons variées comme les mœurs ou la mauvaise représentation du Pakistan), l'association estime que le cinéma indien empêche l’évolution de leur propre industrie.

Chaudhry Ejaz Kamran, un membre officiel de l'association ajoute : “Nous nous sommes battus pour le bien-être de notre industrie cinématographique locale et c'est pourquoi nous avons décidé de contacter Imran Khan. Nous espérons qu'il nous écoutera et imposera l'interdiction”.

11 janvier 2019

Sortie du film Uri - The Surgical Strike d’Aditya Dhar. Le succès est immédiat et le film, bien qu’innovant dans le genre de l’action et du récit de guerre, vulgarise les faits et pose problème pour certains, qui le considèrent comme une œuvre de propagande (surtout à l’approche des élections). Uri, bien que basé sur un incident réel, reste toutefois un objet de fiction. Cependant, la montée en popularité de ce genre de films inquiète, notamment lorsque le métrage vient valider l’implication du Pakistan et continue de le réduire à des clichés ridicules.

Le métrage remportera d’ailleurs pas moins de 4 National Awards…

Si vous désirez vous pencher davantage sur l'impact de la propagande au cinéma, notre rédactrice en chef à mener l’enquête dans cette investigation sur le hashtag #Boycottbollywood ! Elle y aborde notamment l’influence de la politique au cinéma de ces dernières années.

14 février 2019

Une nouvelle attaque terroriste a lieu à Pulwama, toujours au Cachemire. Cette attentat-suicide mené par un kashmiri fait plus de 40 morts et réanime la colère indienne vis-à-vis du pays voisin. Si de nombreuses personnes sont d’accord pour dire qu’il est impossible que les 335 kilos d’explosifs aient franchi la Ligne de Contrôle (et donc qu’ils proviennent du Pakistan), l’Inde pointe tout de même le Pakistan du doigt. L’acte ayant été revendiqué par le groupe terroriste Jaish-e-Mohammed, pour l’Inde, le Pakistan est donc forcément derrière cette horreur.

18 février 2019

All India Cine Workers Association (AICWA) demande un bannissement total des artistes pakistanais. L’organisation à but non-lucratif pour les droits des travailleurs du cinéma indien (fièrement affiliée au gouvernement du Maharashtra) partage un courriel officiel dans lequel elle annonce : “Si une entreprise insiste pour travailler avec des artistes pakistanais, elle sera bannie par le AICWA et de lourdes actions seront mises en place contre elle.

Un jour plus tôt, le directeur de l’Indian Film and Television Directors' Association (IFTDA, association des réalisateurs en Inde) avait lui aussi exprimé son approbation du bannissement total lors de la marche contre le terrorisme organisé par le FWICE (Federation of Western India Cine Employees, organisme mère de toutes les associations liées au cinéma en Inde - selon ce qu’ils disent sur leur site.) “Si un réalisateur ou un producteur n’écoute pas les interdictions du FWICE, nous mettrons un terme à tout tournage avec un artiste pakistanais et vandaliserons les lieux.

Au même moment, le MNS menace les industries musicales pour qu’ils suppriment toutes les collaborations avec les artistes pakistanais. T-Series fera partie des premiers à retirer de sa chaine Youtube toutes les vidéos liées d’une manière ou d’une autre au Pakistan. Les autres grands groupes comme Sony Music, Venus ou Tips Music devront suivre.

Ces nouvelles décisions consolident le bannissement qui avait déjà été demandé par le IMPPA, en 2016. Une véritable coalition des associations qui empêchera davantage l’accès aux artistes pakistanais au cinéma indien. En décrétant toutes ces demandes (et surtout en abusant de menace et d’appel à la violence), ces organismes s’assurent d’isoler et de détruire la carrière de toute personne cherchant à travailler avec des artistes pakistanais.

Mars 2019

Le Pakistan décide de bannir officiellement les films indiens, mais aussi les séries et publicités à la télévision pakistanaise. Une décision forte compte-tenu de l’impact sur les distributeurs pakistanais. 70% des diffusions étaient des films indiens et nombreux sont ceux qui s'inquiètent de la viabilité de cet acte, quand on sait que le pays ne produit qu’une dizaine de films par an.

Le Pakistan avait déjà interdit le cinéma indien sur son territoire par le passé. En effet, après la seconde guerre entre les deux pays, les films indiens avaient été bannis de 1965 à 2005. Le retour du cinéma indien dans les salles au début des années 2000, pour de nombreux fans pakistanais, avait permis à l’industrie locale de vivre un renouveau. Malheureusement, à ce jour (article est rédigé en octobre 2023, ndlr.), l'interdiction de diffusion est toujours en place.

Septembre 2019

La pression sur les artistes indiens continue vis-à-vis de toute connexion avec le Pakistan. Le FWICE va jusqu’à demander au ministre des affaires étrangères d’annuler le visa du chanteur Diljit Dosanjh, qui préparait un concert à Houston, au Texas. Selon l’association, l’évènement était promu par un nationaliste pakistanais, Rehan Siddiqi. Le show du 25 septembre est reporté et le chanteur devra s’expliquer sur X (ex-Twitter).

Un mois plus tôt, c’est Mika Singh qui est pointé du doigt par le FWICE et le AICWA pour avoir osé chanter à un mariage à Karachi, au Pakistan. S’il ne s’était pas excusé de sa “grave erreur”, il aurait perdu tous ses contrats et toutes ses opportunités au cinéma indien…

En 2020, le FWICE continue d’interdire les musiciens indiens de travailler avec des artistes pakistanais, alors que le pays continue de tuer ses soldats… Une menace en pleine période de COVID-19 qui indigne la toile.

20 Octobre 2023

La Haute Cour de Bombay refuse une pétition portée par Faaiz Anwar Qureshi (un acteur, apparemment) qui souhaite interdire toute forme de collaboration professionnelle avec des artistes pakistanais. La pétition réclamait une interdiction totale de demande d’emploi ou de travail dans l’industrie du cinéma, de la musique ou toute autre domaine technique (réalisation, écriture…). Sous prétexte que de nombreuses associations et organisations privées ont mis en place le bannissement, il jugeait nécessaire que légalement, quelque chose soit aussi formalisé. Un acte, selon lui, de bon patriote.

Cependant, les deux juges en charge de l’affaire, Sunil B. Shukre et Firdosh P. Pooniwalla, ont déclaré la fin du bannissement des célébrités pakistanaises en Inde, tout en expliquant que “les arts, la musique, les sports, la culture, la danse et plus encore, sont des activités qui s’élèvent au-dessus de la nationalité, de la culture et de la nation. Ce sont des éléments qui apportent vraiment la paix, la tranquillité, l’unité et l’harmonie au sein d’un pays et entre les pays.” Ils ajoutent également : "Il faut comprendre que pour être un patriote, il n'est pas nécessaire d'être hostile envers tout ce qui vient de l’étranger et encore moins d’un pays voisin".

Est-ce le retour des stars pakistanaises en Inde ?



C’est un pas en avant. Légalement, rien n’empêche un réalisateur ou un producteur d’engager un artiste pakistanais. Néanmoins, les associations privées et partis politiques qui ont poussé le bannissement continueront d’intervenir, et ce malgré cette annonce de la Haute Cour.

En effet, le AICWA a tweeté plusieurs fois (quelques jours avant l’annonce de la Haute Cour) que l’association est toujours favorable au bannissement des pakistanais. Une manière de répondre aux propos du réalisateur Rahul Dholakia (Raees), qui a exprimé sur X (ex-Twitter) “Maintenant que les joueurs de cricket sont officiellement là (pour le match du 13 octobre 2023, entre l’Inde et le Pakistan durant le ICC Cricket World Cup 2023 se déroulant à Ahmedabad, ndlr.), est-ce qu’on peut inviter de nouveau les acteurs pakistanais dans nos films ? Et les musiciens sur scène ?” L’organisation de ce match a d’ailleurs mis en lumière de nombreuses problématiques : refus de visa pour les fans pakistanais, chant islamophobe durant le match, etc…

Face à une telle hostilité de la part du pays et de ses habitants, est-ce réellement une bonne idée pour qui que ce soit d’engager un artiste pakistanais ? L’acteur Fawad Khan s'exprimait à ce sujet dans une interview avec Variety : “C’est plutôt une question de ‘qui veut bosser avec moi’, et pas ‘avec qui je veux travailler’, parce que ces gens-là seront pointés du doigt. Je ferai ma part du travail et je rentrerai, mais ceux qui vont souffrir sont ceux qui vont vouloir travailler avec moi. C’est une chose à laquelle je fais attention parce qu'ils vivent là-bas, et ils souffriront des conséquences.

Il y a tout de même de l’espoir et une volonté de paix. En 2022, par exemple, le succès surprise de la chanson Pasoori, avec Ali Sethi et Shae Gill, diffusé sur la chaîne Youtube Coke Studio Pakistan (qui avait pour habitude d'inviter de nombreux artistes indiens) a permis une reconnexion entre les deux pays. De nombreuses personnalités indiennes ont fait la promotion de l'œuvre musicale sur leurs réseaux. Une célébration qui a résonné à l’internationale et battu tous les records.

Si le titre a eu le droit à une pseudo-réinterprétation dans le film Satyaprem Ki Katha, sorti en 2023, il soulève néanmoins une question majeure : celui de l’intégration d’artistes brillants au cœur d’une industrie cinématographique indienne qui semble avoir perdu de sa bienveillance, étouffée par une propagande de plus en plus bruyante et assumée.

A noter que depuis plusieurs années, les plateformes de streaming permettent désormais d’accéder à des films indiens comme pakistanais, quel que soit le pays dans lequel vous vous trouvez (Raaes est accessible sur Netflix au Pakistan, par exemple). En Inde d’ailleurs, il est toujours possible de regarder des séries pakistanaises et cela grâce à la plateforme indienne ZEE5, qui va jusqu’à lancer sa première série originale pakistanaise en 2021. En 2014, Zee Entertainment Enterprises avait d’ailleurs décidé de parier sur les séries pakistanaises et étrangères (turques, égyptiennes, bangladaises… ) en lançant la chaîne Zindagi TV. La chaîne a dû annuler toutes ses diffusions pakistanaises en 2016, pour ensuite devenir uniquement accessible en ligne en 2017 et remettre dans son catalogue des émissions pakistanaises courant 2018.

Lors d’une interview en 2020, Atif Aslam avait lui-même raconté : “Malgré l’interdiction, c’était évident l’amour que les fans de Bollywood avaient pour moi. Le Hashtag #UnbanAtifAslam a fait le buzz sur le Twitter indien quand ma chanson du film Notebook (sortie en 2019) a été retirée du film.

Chez Bolly&Co, on espère que le bannissement sera unanimement levé par tous ceux qui l'imposent encore (en Inde comme au Pakistan), et permettent non seulement le retour d'artistes formidables (tout secteur culturel confondu), mais offrent surtout une liberté et un respect nécessaire dans le monde de l’art et de la culture.

P.S. : J’ai tenté de regrouper de manière chronologique les évènements majeurs qui permettent de mieux comprendre ce qu’il s’est passé en Inde et au Pakistan vis-à-vis du bannissement initié en 2016. En toute objectivité, cet article est peut-être incomplet et je vous prie de bien vouloir m’excuser par avance s’il y manque à vos yeux un ou plusieurs événements majeurs.
mots par
Elodie Hamidovic
« A grandi avec le cinéma indien, mais ses parents viennent des pays de l'est. Cherchez l'erreur. »
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