Bolly&co Magazine

Critique : Padmaavat, le film épique de trop pour Sanjay Leela Bhansali ?

18 février 2025
Padmaavat critique sanjay leela bhansali film bollywood
— Cet article a été publié dans le numéro 13 de Bolly&Co, page 152.

Si on peut parler d’une fan de Sanjay Leela Bhansali dans le trio des rédactrices de Bolly&Co, c’est bien moi. De Khamoshi - The Musical, sa toute première (et sous-estimée) œuvre à Padmaavat, le cinéaste a fait du chemin ! Mais surtout, il a développé un style qui n’appartient qu’à lui. C’est un véritable metteur en scène, jouant avec les lumières, les couleurs, les costumes et les prises de vue. Ses histoires se développent dans un monde à part, souvent très inspiré de la culture de son pays. Avec Devdas en 2002, il fait le tour du monde, faisant de son film l’incarnation du « Bollywood » par excellence. Trois ans plus tard, il surprend tout le monde avec une histoire à des années lumières de celle de Paro. Avec Black, il montre qu’il n’a pas oublié ses premières amours : raconter l’histoire de personnes atypiques, qui nous prend aux tripes et nous donne aussi le sourire.

Sanjay Leela Bhansali fascine, tout comme il touche. Mais après Black, il ne parviendra pas à me satisfaire totalement (et je parle bien de moi et non de tous, car j’écris cette critique selon mon point de vue). J’avais la sensation qu’il tournait en rond. Soit en réadaptant des ouvrages comme il l’avait fait avec Devdas (on peut également citer Saawariya avec Les Nuits Blanches de Dostoïevski, que j’ai souvent l’impression d’être la seule à avoir apprécié, Goliyon Ki Raasleela : Ram-Leela inspiré du classique Roméo et Juliette de Shakespeare ou encore Bajirao Mastani, en grande partie adapté du roman marathi Raau de Nagnath S. Inamdar). Soit en se tournant vers un personnage particulier comme il avait fait avec son tout premier film (Guzaarish raconte l’histoire d’un ancien magicien paralysé qui souhaite mettre fin à ses jours. D’après les rumeurs, c’est un remake non-officiel de Mar Adentro, réalisé par Alejandro Amenabar en 2004, lui-même inspiré de l’histoire vraie de Ramón Sampedro). Et en 2018 sort Padmaavat.

Pourquoi je vous dis tout ça ? Car il est important pour moi de vous expliquer à quel point je suis ce réalisateur de près. Encore une fois, on a affaire à une adaptation. Mais il s’agit ici d’un poème, ce qui laisse beaucoup plus de place au réalisateur qui fait de nouveau équipe avec Prakash Kapadia (avec qui il a collaboré pour Bajirao Mastani, Saawariya, Black et Devdas). Alors forcément, quand la bande-annonce de Padmaavat sort, je suis dubitative.

Si je savais pertinemment ne pas être la cible d’un Bajirao Mastani, comment Padmaavat pourrait-il me plaire ?



Pourquoi je n’aime pas ? Le storytelling.

Raconter la trame comme un conte en séparant l’histoire d’amour et l’ascension du sultan avec une voix off, nous irrite plus qu’elle ne nous aide. Les sentiments naissants entre Padmavati et Ratan Singh sont bien trop rapides et superficiels. Je n’y ai pas cru une seule seconde. J’aime les couples dont les sentiments fleurissent à l’écran. Alors forcément, je trouvais ça dommage au point de vouloir plus de scènes entre Padmavati et Ratan, ne serait-ce que pour mieux comprendre la force qui les lie. La première partie du film est ainsi vraiment longue et si le rythme est meilleur par la suite, le métrage est dans son ensemble terriblement inégal.

Plusieurs de mes questions sont restées sans réponse, sachant que 70 scènes ont été coupées au montage pour permettre la sortie de Padmavaat. L’autre problème, c’est la temporalité. Des mois défilent, mais rien ne nous indique que les jours passent. On a donc forcément un peu de mal à suivre et surtout, on se demande si c’est cohérent. Nous sommes en plein dans un drame d’action et pourtant, tout semble aller si lentement…

Pourquoi j’aime ? Un antagoniste au sommet.

Quand je parle d’inégalité, c’est surtout dans le fait que l’histoire du Sultan soit bien plus précise et travaillée, tant en matière de décor que de personnalité. Alauddin Khilji est impitoyable, méprisable, horrible. Il n’y a pas de lumière en lui, c’est un manipulateur né prêt à tout pour arriver à ses fins. Ranveer est impressionnant dans ce personnage parfois proche des vilains de cartoon, mais si bien porté par l’acteur qu’on y croit ! Il est détestable ! C’est à se demander pourquoi personne ne se retourne contre lui pour le renverser - ou si justement, c’est la peur qui empêche quiconque de se rebeller. Et malgré cette aura démoniaque, il est facile d’éprouver de la peine pour ce sultan obsédé par ce qu’il ne peut avoir. C’est un enfant, un enfant qui a goûté à tous les vices et à qui la vie a finalement dit « non ».

Pourquoi j’aime ? La réalisation.

Sanjay Leela Bhansali est un magicien. Il nous force à nous focaliser sur une chose, pour nous détourner de ce qui ne va pas. C’est tellement beau qu’on s’amuse à regarder tous les détails. Le travail du directeur de la photographie Sudeep Chatterjee est fantastique, sans parler des costumes créés par Rimple et Harpreet Narula. Parce que ce que le réalisateur nous montre a son importance, sa force dans l’histoire. Cela nous aide à mieux comprendre le contexte du récit, la puissance du sultan ou encore les traditions rajput. Sanjay Leela Bhansali n’a rien perdu de son aise dans sa façon d’utiliser l’espace. Pourtant, l’impression de déjà-vu pourrait faire défaut à certains, le comparant à Bajirao Mastani à cause de ses tons identiques.

Pourquoi je n’aime pas ? L’abus des larmes.

Pour une fois, je crois bien que je n’ai rien à dire sur le casting. Vraiment. Si Shahid me paraissait limité par son personnage de prince parfait, j’ai trouvé Deepika Padukone très juste ! Bien meilleure que dans Bajirao Mastani ou dans Ram-Leela. Il faut dire que c’est son troisième film avec le réalisateur et elle sait comment il fonctionne. Il est du genre à lui demander de tourner la dernière scène dès le premier jour ! Deepika charme dans la première partie, puis grandit petit à petit, tenant tête à ceux qui lui font face.

MAIS. Les yeux rouges H24, ça me rappelle les vieux films des années 90 dans lesquels Shahrukh Khan pleurait pendant des heures. Je n’ai rien contre, surtout quand c’est nécessaire. Mais alors pleurer dès qu’elle apparaît à l’écran… Elle fait une allergie, peut-être ? J’ai donc souvent ressenti un décalage, entre la femme forte qu’elle devait être, et cette fragilité excessive. Non, ce n’est pas réaliste de parler pendant 5 minutes sans verser une larme en ayant des yeux pareils !

Pourquoi j’aime ? Des personnages secondaires déments.

Comme je le disais, l’histoire du Sultan est bien plus détaillée, et par conséquent, les personnages qui l’entourent le sont aussi. Aditi Rao Hydari est Mehrunisa, la femme d’Alauddin. Elle est l’innocence, la pureté, mais aussi la foi. La soumission dont elle fait preuve, malgré son dégoût pour l’homme qu’elle avait un jour aimé, dérange. Interpelle. A côté, Jim Sarbh est l’élément comique indirect du film. En esclave dévoué et amoureux, il est celui qui participe à faire grandir l’ego surdimensionné du sultan. L’acteur ne se limite pas dans ses expressions et se donne à 100%.

Enfin, si Anupriya Goenka (qui apparaît en première femme capricieuse et lâche) aurait mérité plus de scène, il n’était cependant pas question de développer cette partie-là qui aurait beaucoup trop fait écho Kashibai et Mastani.

Pourquoi je n’aime pas ? Historique… ou pas.

L’équipe du film aurait pu changer tous les noms, inventer des éléments, que Padmavaat n’aurait rencontré aucun problème, voir, aurait mieux marché. Pour le coup, le récit n’a rien d’historique et ne ressemble pas du tout au poème. Il y a un problème. On a l’impression que le réalisateur est indécis : il veut construire une histoire basée sur des faits réels, tout en proposant quelque chose tout droit sorti de l’imaginaire. Il faut savoir. Car à la fin, c’est surtout peu réaliste. Il faudra qu’on m’explique comment une princesse venue du Sri Lanka connaît si bien les us et coutumes des rajputs. Et ensuite, pourquoi ses propres racines passent inaperçues ? Elle était née pour être rajput ou quoi ? Et Ratan Singh ? À quel moment du film on nous parle de ses valeurs, à lui ?

Il manquait un je-ne-sais-quoi pour nous faire adhérer à cette fierté. À ce patriotisme. Ils auraient pu être n’importe quoi d’autre, au final, ça n’aurait rien changé. Mais vous comprenez, c’est eux les gentils… et les méchants, ils sont tout simplement musulmans.

Le Sultan est donc barge. Il n’a aucune idée de ce à quoi Padmavati ressemble. Pourtant, il emmène ses troupes en guerre pour elle. Ils sont tous barbares, violents, infidèles. Pour ma part, j’ai détaché Khilji de sa religion, car dès les premières scènes du film, il avoue lui-même être au-dessus de toute foi. Par conséquent, il n’est qu’une incarnation du mal dans le film. Cependant, c’est bien pour se protéger des potentiels « viols » que les femmes rajput s’immolent en masse. Pour le coup, le film n’a pas été très subtil et stigmatise les mauvais, tout comme il survend les bons.

Parlons maintenant de la fin du film. En fait, j’étais très perplexe. D’un côté, je comprends. Ces femmes utilisent cette coutume à leur façon, elles se l’approprient pour se sauver. D’un autre côté, je rappelle que de nos jours, c’est une tradition qui a été pointée du doigt, combattue pour être oubliée tant elle est horrible. Injuste. Alors voir des femmes de tous les âges être si sûres d’elles dans cette pratique, ça me fait un peu peur... Peut-on vraiment renoncer à la vie de cette façon ? Où est-ce que dans ce genre de situation, personne n’a le droit de vivre ? Maintenant, le défaut est pour moi, encore dans la narration. C’est ce qui fait que non, je n’ai pas versé ma petite larme à la fin pendant les 15 minutes de slowmotion durant lesquelles je me demandais : mais pourquoi la peau de Deepika ne fond-elle pas ? (alors qu’elle est aussi proche des flammes...)

Pourquoi j’aime ? Shahid Kapoor vs Ranveer Singh...

Si dans certaines scènes, je me demandais quelle quantité de laque avait été épuisée dans la chevelure de « lion » de Shahid Kapoor, combien de litres d’huile a été déversée sur son torse imberbe, l’acteur sait pourtant utiliser sa présence pour capter la caméra. Notamment lorsque le Roi se confronte au Sultan. Le combat final entre les deux hommes est aussi sublime. Shahid est le bien incarné. Il n’est pas parfait, mais c’est un homme bon, franc, noble. L’opposé parfait du sultan. Si parfois, il paraît un peu robotique, il arrive à faire preuve de puissance face à Ranveer. Comme s’il se réveillait d’un seul coup et que le romantique laissait place au guerrier. Il incarne alors le Roi dans toute sa splendeur, dévorant presque son adversaire en un regard.

Pourquoi je n’aime pas ? L’autruche.

Je m’explique. Ce que je veux dire par là, c’est que les films en 3D de guerre au je-ne-sais-quel siècle, je n'en peux plus. Surtout quand on peut voir la différence entre ce qui est digitalisé ou non. Franchement, ça fait « cheap ». Le Seigneur des Anneaux, dont le premier volet est sorti en 2001, avait de meilleurs effets spéciaux que les derniers films en 3D indiens qui sont au cinéma actuellement. Alors oui, pour donner une impression de chiffre (5000 soldats, ça fait beaucoup d'extra à payer), je comprends l’utilité. Mais pour digitaliser une autruche comme animal de compagnie dans une scène qui ne dure même pas 5 minutes… Vraiment ? Et j’en profite : la fausse cicatrice sur le visage de Ranveer, c’est quoi ? Il est passé où, l’argent pour le département de maquillage ? Pas dans les effets spéciaux j’espère !

En conclusion



Peut-être qu’avec un peu plus de simplicité, le film aurait eu plus d’impact. Cela n'empêche pas Padmaavat d'être un vrai plaisir pour les yeux, un film qui saura émerveiller la plupart et qu'il ne faut pas le rater au cinéma. Ceci dit, je reste sur ma faim.

J’aurais aimé voir Padmavati s’adapter à sa nouvelle vie, en dehors de ses grottes et de sa jungle. J’aurais aimé voir le Roi s’ouvrir face à cette femme qu’il ramène dans son palais. J’aurais aimé voir leurs deux personnages se compléter et évoluer dans le film. J’aurais aimé que le sultan soit déjà en conflit avec le roi, pour ponctuer une haine qui aurait donné plus de valeur à cette guerre, tout comme j’aurais préféré que Khilji ait vu Padmavati une fois, pour que son obsession soit plus légitime (ou un reflet plus clair). J’aurais aussi aimé qu’à la fin, Mehrunisa prenne les choses en main et balance son mari dans le fond d’une prison (bah quoi ?). Franchement, on s’en fout de l’aspect historique, surtout quand il n’est de toute manière pas suivi ou qu’il est transformé.

Padmaavat au final, me ramène à Bajirao Mastani et la façon dont le réalisateur avait limité un personnage féminin qui était bien plus imposant dans la réalité (article à lire juste ici) ! Sanjay Leela Bhansali aurait dû se lâcher davantage. Mais il semblait en conflit permanent et je me demande si le succès de Baahubali n’a pas un peu fait pencher la balance…
LA NOTE: 3/5

mots par
Elodie Hamidovic
« A grandi avec le cinéma indien, mais ses parents viennent des pays de l'est. Cherchez l'erreur. »
un message à lui envoyer ?