Pourquoi la chanteuse Chinmayi a-t-elle été bannie de Kollywood ?
28 mai 2025

Retour sur une injustice encore trop ignorée à Kollywood.
Qui est Chinmayi Sripaada ?
C’est en 2002 avec la chanson "Oru Deivam Thantha Poove" du film Kannathil Muthamittal (2002) que Chinmayi est révélée. Rapidement, elle devient l'une des voix les plus encensées de l'industrie. Son timbre clair, plein de sensibilité et sa polyvalence, ont fait d’elle l’une des chanteuses les plus convoitées d'Inde. Véritable polyglotte, elle a déjà posé sa voix dans plus de dix langues différentes. Avec de nombreux prix à son actif et des titres populaires comme “Titli” de Chennai Express, “Priyathama Priyathama” de Majili ou "Kaathalae Kaathalae" de 96, impossible de ne pas apprécier son travail et sa singularité.
Mais en plus de sa carrière musicale, Chinmayi est également une doubleuse prolifique. Elle a prêté sa voix à de nombreuses actrices dravidiennes comme Samantha Ruth Prabhu, Trisha Krishnan, Amy Jackson ou même Tamannaah Bhatia. Là encore, elle a été récompensée pour son travail avec plusieurs Nandi Awards de la meilleure artiste de doublage féminine. Pour beaucoup, elle est la raison de la réussite de certaines actrices du début des années 2010.
L’un des visages du mouvement #MeToo en Inde.
Fin 2018, le mouvement #MeToo prend de l’ampleur en Inde. La doubleuse et chanteuse Chinmayi accuse publiquement, via son compte Twitter, le célèbre parolier Vairamuthu de harcèlement sexuel. Selon ses affirmations, il lui aurait fait des avances à plusieurs reprises au cours de ces dernières années, menaçant souvent la chanteuse de détruire sa carrière si elle n'acceptait pas de l'écouter. Plus de 20 femmes portent plainte contre lui, certaines pour des faits encore plus graves. Pourtant, rien ne se passe. Pas d’enquête, pas de remise en question. Au contraire, c’est Chinmayi qui va être pointée du doigt et moquée.
La même année, elle apporte son soutien à d'autres femmes qui accusent Radha Ravi, le président de l'Union des Artistes de Doublage du Cinéma et de la Télévision d'Inde du Sud (le SICTADAU). Rapidement, elle est exclue de l’union, qui exigera des excuses et un paiement de 1,5 lakh (soit plus de 1500€) si l’artiste souhaite une réintégration. Malgré une injonction provisoire<:a> pour empêcher l’exclusion de la chanteuse, rien n’y fait. Elle est toujours en attente d’un procès.
"Plus de femmes auraient dénoncé Vairamuthu si j'avais été mieux traitée", a-t-elle déclaré au The News Minute en janvier 2019, soulignant le manque affligeant de soutien auquel elle a été confrontée dans l'industrie.
En 2024, alors que Vairamuthu affirme qu’il faudrait une variante du Hema Committee (un rapport mené auprès de l’industrie malayalam pour mettre en avant les nombreux incidents de harcèlement au cinéma) dans toutes les industries, la chanteuse est révoltée. Face à ces propos jugés hypocrites, elle le surnomme le "Harvey Weinstein du cinéma tamoul”.
En 2024, elle raconte à IndiaToday : “Le problème, c'est que même si nous dénonçons un incident et portons plainte, rien ne se passe immédiatement. L'affaire traîne en longueur pendant des années, voire des décennies. Je suis toujours en procès, à me battre pour mon droit de travailler. Cela fait sept ans. À part dans l’industrie, où est-ce que vous avez vu ça ? J'ai simplement dit que j'avais été agressée sexuellement. Et on m'a répondu : "D'accord, on ne te laissera plus travailler dans ce milieu." C'est le genre de pouvoir, politique et financier que ces gens ont.”
Depuis, face à ces nombreuses déclarations sur les réseaux sociaux, les médias n’ont pas hésité à lui coller une étiquette. Féministe extrémiste, ultra-woke… Si Chinmayi parle ouvertement et donne simplement son opinion, la presse diabolise sa parole.
Les conséquences cruelles du boycott de l’industrie tamoule envers Chinmayi.
De manière complètement officieuse, la plupart des professionnelles ferment leur porte à la chanteuse. Ainsi, la voix de Chinmayi a quasiment disparu des bandes-originales de films tamouls. Et ce même si en 2021, le hashtag #WeWantChinmayiBack réclame son retour. Rien n’y fait, depuis son bannissement, ses apparitions sont réduites drastiquement. Ceux qui osent lui offrir une place se retrouvent face à des problèmes juridiques ou même à une censure.
Chinmayi elle-même a souvent exprimé les difficultés rencontrées depuis qu’elle a eu le courage de s’exprimer. En août 2024, elle confiait à NDTV : "J'ai payé un lourd tribut pour les allégations #MeToo" Cet isolement professionnel, a étonné d’autres célébrités comme l'actrice Raadhikaa, qui n’a pas hésité à demander : "Pourquoi aucun acteur de Kollywood n'a-t-il pris la défense de Chinmayi Sripaada ?"
Le cas de Chinmayi est un puissant rappel des nombreux défis pour une véritable justice et une équité au sein des industries créatives, et ce malgré ce que le mouvement #metoo a révélé. Son expérience met en lumière les failles évidentes d’un monde incapable de protéger les victimes de harcèlement. Pire, les prédateurs sont protégés pendant que celles qui ont le courage de dénoncer se retrouvent ostracisées.
En 2023, en doublant l'actrice Trisha Krishnan dans l’énorme blockbuster Leo, l’Union de doublage n’a pas apprécié de découvrir sa participation au métrage et a cherché, en vain, qui était l’ingénieur du son qui a aidé la chanteuse à travailler alors qu’elle est bannie. Le réalisateur Lokesh Kanagaraj aurait payé 50 000 roupies (soit plus de 500€) en guise de compensation.
C'est une véritable chasse à la sorcière, où même d'autres syndicats ne peuvent employer une professionnelle reconnue pour son talent.
Sa récente interprétation de la chanson de “Muththa Mazhai” du film Thug Life fait désormais le buzz sur la toile, et pourrait remettre sous les feux des projecteurs le manque cruel de soutien dont la chanteuse aurait besoin. Surtout, il pourrait faire bouger les choses face à ses combats et ceux d’autres femmes qui attendent encore que justice leur soit rendue.