Bolly&co Magazine

Films indiens ou films hindous ? L’iconographie religieuse dans le cinéma local, d’hier à aujourd’hui…

10 juillet 2025
ranbir kapoor yash rama ravana ramayana iconographie religieuse
1998. L’une des scènes mythiques du film Kuch Kuch Hota Hai, réalisé par Karan Johar. Rahul, le bad boy de la fac, critique ouvertement la nouvelle venue, Tina. Selon lui, une immigrée de Londres qui porte des mini-jupes ne peut être une vraie indienne. Oui, je sais… Quel bouffon. C’est alors que Tina, cheveux au vent, entonne de toute son âme le chant dévotionnel « Om Jai Jagdish Hare », sous le regard ébahi de son opposant. C’est ainsi que la jeune fille lui prouve son identité indienne, et gagne au passage son cœur…

Le cinéma indien, reflet de la diversité culturelle et religieuse de son pays, s’est toujours nourri d’une iconographie religieuse foisonnante. Cette omniprésence des symboles, récits et figures sacrées ne relève pas seulement de l’esthétique : elle dialogue avec la société, la politique et les tensions contemporaines.

L’occasion pour Bolly&Co d’analyser les différents aspects de cette relation complexe, tantôt séculaire, tantôt clivant.



La religion comme fondement du cinéma indien.

L'iconographie religieuse est profondément ancrée dans le cinéma indien, puisant dans une longue tradition artistique et théâtrale. Dès ses débuts, le septième art du sous-continent s'est inspiré des formes d'art visuel établies au XIXème siècle, notamment des peintures de Ravi Varma - dont les illustrations humanisées des divinités ont permis d’ancrer et de standardiser leur représentation visuelle, qui reviendra sous d’autres formes artistiques par la suite.

Ces images emblématiques ont indubitablement influencé la manière dont les dieux hindous étaient présentés dans les récits pour le grand écran à l'époque, pionniers du cinéma en Inde. Effectivement, le genre mythologique et dévotionnel est venu établir une manière filmique de voir les symboles et pratiques religieuses, devenue depuis partie intégrante de la culture visuelle indienne. C'est ainsi que le tout premier long-métrage indien, Raja Harishchandra (1913), réalisé par Dadasaheb Phalke, constituait l’adaptation d’un épisode du Mahabharata – épopée majeure de la littérature hindoue. Ce film, devenu depuis une véritable institution, fonde alors une tradition : celle du cinéma mythologique, qui va dominer l’ère du muet et inspirer des générations de cinéastes. (1)

Dans les décennies suivantes, des œuvres comme Ayodhyecha Raja (1932), premier film indien parlant de l’histoire mais aussi Karnan (1964), sorti au Tamil Nadu ; témoignent déjà de la vitalité de ce registre tout comme de l’engouement qu’il suscite, aussi bien chez les réalisateurs qu’auprès du public. Aussi, des réalisateurs comme Subhash Ghai sont passés maîtres dans l'art de tisser leurs récits autour de mythes et textes religieux. Par exemple, son film Ram Lakhan (1989) s'inspire de thèmes du Ramayana, avec des personnages portant les noms de Rama et Lakhan, et dont le comportement reflète celui de ces figures mythiques. De même, Kisna - The Warrior Poet (2005) s'inspire du Mahabharata et de Puran, personnage principal combattant le mal pour accomplir son devoir, et ce à l'image du dieu Krishna. (2)

Par ailleurs, le sud de l’Inde n’est pas en reste, bien au contraire. A noter que le premier film télougou parlant, Bhakta Prahlada (1932), s’inscrivait dans ce genre. De grandes stars dravidiennes se sont alors frottées à l’exercice, comme un passage obligé. Parmi elles, Dr. Rajkumar dans Sri Srinivasa Kalyana (1974), Prem Nazir dans Kodungallooramma (1968) ou encore N.T. Rama Rao dans Yamagola (1977)... Encore aujourd’hui, ces industries produisent des fresques religieuses à intervalle régulier, avec entre autres les films télougous Sri Rama Rajyam (2011) ou Shaakuntalam (2023).

De son côté, la télévision du nord, à travers des séries populaires telles que Devon Ke Dev… Mahadev (2011 - 2014) ou Mahabharat (2013 - 2014), perpétue la tradition du récit sacré sur petit écran. (3)

Un héritage musulman incontestable.

Toutefois, la diversité religieuse se manifeste aussi très tôt dans l’histoire du septième art indien. Par exemple, on y a vu l’émergence des films islamicate, qui ont laissé une trace indélébile dans le paysage cinématographique local. Ce terme anglais, avancé par l’historien Marshall Hodgson, décrit tout ce qui relève de la culture musulmane, et pas uniquement des textes religieux. On parlera donc d’œuvre islamicate lorsqu'une création artistique illustre l’héritage de l’Islam dans l’architecture, la science, la musique, la littérature ou la société. Ces métrages possèdent leur propre esthétique visuelle, puisant dans l'art moghol ou le théâtre parsi pour représenter la culture et la religiosité musulmanes, notamment par le biais des costumes, des décors et des symboles.

Par exemple, les classiques Mughal-E-Azam (1960), Pakeezah (1972) et Umrao Jaan (1981) exploitent l’imagerie islamicate dans leurs intrigues comme dans leur mise en scène. De son côté, le superbe Veer-Zaara (2004) fait également écho à la religion musulmane de bien des façons. C’est notamment le cas à travers le nombre 786 - traduction numérologique d’une formule de bénédiction, qui est ici le numéro de cellule du protagoniste.

De même, la culture parsie a laissé une trace non négligeable dans le cinéma indien, ancien comme actuel. Le poème perse Farhad & Shirin de Nizami Ghanjavi a fait l’objet d’adaptations multiples à Bollywood, les plus célèbres étant le second film indien parlant Shirin Farhad (1931) et la version de 1956 du même nom, comptant la star de l’époque Madhubala à son casting. Le récit oriental de Layla et Majnun a aussi été retranscrit sur grand écran plus d’une vingtaine de fois à travers le pays, certaines de ces adaptations étant depuis devenues cultes. Ces relectures, fidèles ou libres, témoignent du patrimoine perse et de son immense influence sur les cinématographies de l’Inde, martelant un peu plus la dimension plurielle de sa culture.

Les autres religions du pays sont représentées de façon plus disparate et épisodique. Ainsi, le sikhisme est plutôt illustré à travers des productions en langue punjabi, dans la mesure où la communauté sikhe est prédominante dans cette région du pays. Néanmoins, des films en langue hindi comme le hit de Bollywood Rab Ne Bana Di Jodi (2008), qui élève justement l’amour du héros au rang dévotionnel, font habilement référence à la croyance sikhe. De même, le succès de l’acteur et chanteur Diljit Dosanjh à Bollywood a permis une représentation différente et moins réductrice des sikhs.

Il en va de même pour le christianisme, plutôt dépeint dans des œuvres émanant de régions qui abritent ses croyants en nombre, comme à Goa ou au Kérala. Ainsi, des films comme Christian Brothers (2011), Amen (2013) et Ohm Shanthi Oshaana (2014) mettent en avant des personnages de religion chrétienne dans leur quotidien, le tout sans la moindre connotation négative.

L’hindouisme, miroir de la société indienne ?

Toutefois, ce n’est pas uniquement dans le genre très codifié du film dévotionnel que la religion hindoue est illustrée de façon dominante. Dans les métrages relevant d'autres registres, l'iconographie religieuse est aussi omniprésente, et ce même si la religion n'en est pas le thème central. On y trouve en effet des images religieuses ouvrant les films, des autels et des illustrations de dieux présents dans les foyers, dans les transports en commun et sur les lieux de travail. Si elles ne sont pas toujours au cœur de l'intrigue, ces icônes sont porteuses de sens dans le récit comme dans le message - assumé ou implicite - transmis au spectateur.

Les interventions divines figurant dans les films peuvent aussi se manifester comme des miracles ou des dispositifs narratifs. On se souvient entre autres du Raju de Guide (1965), devenu un saint malgré lui au cœur d’un village foudroyé par la sécheresse. Plus récemment, le Mohan de Swades (2004) illustre sa reconnexion avec l’Inde à travers une séquence durant laquelle il implore le dieu Rama.

L’arrivée de la couleur au cinéma a d’ailleurs renforcé la dimension visuelle de ces représentations : le safran (couleur du renoncement hindou) ou encore le blanc (symbole de pureté), deviennent des codes récurrents pour marquer la spiritualité des personnages. Les rituels, festivités et illustrations de divinités s’inscrivent dans la mise en scène et deviennent associés à l’identité visuelle des cinémas indiens, notamment à l’international.

Le métrage Jai Santoshi Maa (1975) est un autre exemple frappant de l'intégration religieuse dans le cinéma, non seulement par son intrigue dévotionnelle, mais aussi par la réponse qu’elle a reçue de la part du public. Puisque les spectateurs ont participé à des actes rituels dans les salles de cinéma ; jetant des pièces, des pétales et du riz sur l'écran comme offrandes religieuses à la figure Santoshi Maa. Ce film a même conduit à la construction de temples et de sanctuaires en l'honneur de cette déesse auparavant peu connue, allant jusqu’à encourager la pratique de jeûnes spécifiques à son intention.

De surcroît, la représentation de l'amour romantique élevé au niveau divin est un élément visuel fort et récurrent au cinéma indien. Le couple Devdas et Parvati, incarné par Shahrukh Khan et Aishwarya Rai dans Devdas (2002), assis ensemble sur une balançoire ornée de fleurs, évoque les images populaires de Krishna et de Radha également sur une escarpolette, élevant ainsi l'amour humain qu’ils se portent à un idéal divin.

De même, d’autres films s'inscrivant dans des registres divers et variés voient leur intrigue prendre racine de textes hindous. Par exemple, le métrage d’action Trimurti (1995), le film politique Raajneeti (2010) et la fresque Raavan (2010) constituent des relectures modernes et libres de récits religieux, construisant un allègre pont entre hindouisme et société contemporaine.

Hindouisme et cinéma : deux faces d’une même pièce ?

Ainsi, l’iconographie religieuse sert à la fois de support d’intrigue, de véhicule de valeurs et de marqueur identitaire. (4)

Les héros des films indiens populaires s’inspirent assurément de figures divines, dont ils véhiculent de fait les croyances et les principes. Dans Sri Manjunatha (2001), le personnage principal incarné par Arjun Sarja trouve la rédemption à travers la dévotion à Shiva. Quant aux héroïnes, elles incarnent souvent la force des déesses hindoues. L’incontournable Mother India (1957) fait de Radha, son personnage principal, une figure quasi divine de la maternité sacrificielle.

Aussi, des films culte comme Hum Aapke Hain Koun (1994) et Dilwale Dulhania Le Jayenge (1995) intègrent des séquences de prières hindoues et de rituels familiaux, affirmant une indianité intimement liée à la foi hindoue, même au cœur d’une trame moderne voire diasporique. L’objectif ? Créer une connexion émotionnelle et un sentiment d’identité nationale fort, certes, mais aussi foncièrement ostracisant. (5)

Les rituels liés à la religion hindoue sont assurément les plus récurrents dans l’imagerie et dans l’inconscient collectif lorsque l’on parle des films indiens. Par exemple, nul ne peut oublier les séquences de prière de classiques comme Kuch Kuch Hota Hai (1998), Hum Saath Saath Hain (1999) ou encore La Famille Indienne (2001), où la pratique religieuse est avant tout vectrice de lien entre les personnages.

Plus récemment, si la connivence avec la religion hindoue y est davantage suggérée, des plébiscites populaires tels que Brahmastra - Part 1 (2022), RRR (2022) ou encore Kalki 2898 AD (2024) empruntent largement leur imagerie à l’hindouisme et émettent des parallèles clairs entre leurs héros et ceux des écrits religieux desquels ils s’inspirent.

La censure religieuse à l’assaut de la liberté d’expression. Hélas, cette iconographie est aussi utilisée comme outil de propagande et de renforcement des stéréotypes, notamment dans le contexte politique tendu que traverse l’Inde depuis l’arrivée au pouvoir du Bharatiya Janata Party de Narendra Modi.

Bolly&Co a au demeurant eu l’occasion de développer davantage la question dans un article investigation édifiant sur le pouvoir de la propagande. Si nous éviterons d’étayer ce volet de façon plus exhaustive pour éviter la redite, il est toutefois essentiel de l’évoquer tant il constitue un élément de compréhension indissociable de la représentation religieuse dans le cinéma indien d’hier et d’aujourd’hui.

Sous l’ère Modi, des films comme Tanhaji – The Unsung Warrior (2020), Padmaavat (2018) ou la saga Baahubali (2015 et 2017) ont été salués pour leur mise en valeur de l’héroïsme hindou, mais aussi critiqués pour leur vision belliqueuse et parfois exclusive de l’hindouité.

Le traitement des musulmans s’est également durci, notamment dans le contexte du conflit indo-pakistanais. Ainsi, des films comme Mission Majnu (2023) ou The Kerala Story (2023) ont ainsi renforcé les clichés négatifs sur l’islam, en associant systématiquement les personnages musulmans à des rôles de terroristes ou de traîtres, contribuant en conséquence à la marginalisation de cette communauté.

Des œuvres comme PK (2014) ou Pathaan (2023) ont quant à elles fait l’objet de campagnes de boycott et de menaces de la part de groupes religieux, selon lesquels ces films heurtaient les sensibilités des fidèles. Par exemple, PK critique ouvertement la commercialisation de la religion et la manipulation des croyances, ce qui lui a valu de vives réactions de plusieurs groupuscules, notamment menés par le BJP ou par sa milice radicale, le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS). (6) (7) (8)

L'iconographie religieuse est alors utilisée pour représenter une identité indienne fortement liée à la foi hindoue, présentant l'hindouisme comme la "norme invisible". Les œuvres filmiques agissent effectivement comme des "modèles de" et des "modèles pour" l'identité et la tradition indienne, faisant tristement fi du pluralisme et de la diversité qu’elle abrite.

Car bien que l'industrie elle-même soit multi-religieuse (soulignons l’influence de stars musulmanes de tous temps comme Shahrukh Khan, Dilip Kumar ou encore Mammootty), la représentation des minorités dans les fictions est de plus en plus problématique. Les personnages principaux étant majoritairement hindous, la représentation de "l'autre" (musulmans, chrétiens, sikhs…) tend à perpétuer des stéréotypes négatifs. L'iconographie peut de fait contribuer à marquer cette altérité.

D’autant que la communauté musulmane n’est pas la seule à être illustrée de manière péjorative au cinéma. En effet, la promotion du film hindi Policegiri (2013) avait scandalisé la communauté chrétienne à cause de ses images promotionnelles, dans lesquelles l’actrice Kavitta Verma affichait un look sexy tout en arborant un chapelet autour de son cou. En conséquence, les scènes incriminées ont finalement été retirées du film. D’autres comédies comme Kyaa Super Kool Hain Hum (2012) et Kamaal Dhamaal Malamaal (2012) tournaient en ridicule des figures religieuses, présentant des prêtres libidineux ou obsédés par l’argent. Plus récemment, le film odia Sanatani : Karma Hi Dharma (2025) illustrait un conflit entre missionnaires chrétiens et communauté tribale de façon manichéenne, qui a enragé les représentants religieux du pays. (9) (10) (11)

Pire, l’arrivée au pouvoir du BJP a permis à des films comme The Kashmir Files (2022), The Kerala Story (2023) ou encore The Sabarmati Report (2024) de propager dans le plus grand des calmes des récits islamophobes, réécrivant l'histoire à leur guise pour diaboliser ouvertement les musulmans. (12) Notez justement la présence systématique de l’article ‘The’ dans chacun de ces titres (traduisible littéralement par « Le »), comme pour marquer leur intention de faire de ces films une vérité absolue et universelle... Le gouvernement soutient activement ces productions, allant jusqu'à organiser des séances spéciales pour fonctionnaires et présenter ces œuvres comme des films d’intérêt national. Swatantrya Veer Savarkar (2024), carrément produit par un cadre du BJP, glorifie quant à lui une figure controversée du nationalisme hindou en nettoyant minutieusement son héritage. (13) Le réalisateur original de l'œuvre, Mahesh Manjrekar, a d’ailleurs préféré quitter le navire face aux libertés trop “créatives” que prenait le récit. (14)

Critiques ouvertes - mais sporadiques - de la religion.

Malgré ces dérives préoccupantes, quelques cinéastes irréductibles s’efforcent d’offrir une vision davantage pluraliste, s’autorisant au passage à critiquer la société indienne dans ses multiples mécanismes.

Amar Akbar Anthony (1977), Veer-Zaara (2004), Jodhaa Akbar (2008) ou encore Bajrangi Bhaijaan (2015) célèbrent chacun à leur manière l’interculturalité et la coexistence entre hindous, musulmans, chrétiens et sikhs, le tout dans une démarche pacifiste et bienveillante. Parmi eux, Bajrangi Bhaijaan raconte notamment l’histoire d’un hindou qui aide une fillette musulmane à retrouver sa famille au Pakistan, prônant la fraternité au-delà des frontières et des religions.

Des films comme PK, OMG - Oh My God (2012), Dharam Sankat Mein (2015) et The Great Indian Family (2023) questionnent de leur côté la foi aveugle et la manipulation religieuse, invitant à une réflexion individuelle sur la spiritualité et, plus que tout, à la tolérance. My Name Is Khan (2010) s’attaque de son côté aux préjugés antimusulmans dans l’Amérique post-11 septembre, tandis que Water (2005) dénonce la condition des veuves dans l’hindouisme traditionnel. De même, Mulk (2018) traite avec courage de l’islamophobie dans le système judiciaire actuel.

Les héroïnes puissantes, à l’image de la déesse Durga, sont aussi mises à l’honneur dans des films comme Queen (2014), Déesses Indiennes en Colère (2015) ou encore Kahaani (2012), dans lesquels les femmes prennent leur destin en main, brisant ainsi les codes patriarcaux. Le drame social Fire (1996), illustrant une histoire d’amour entre deux femmes, nomme ses protagonistes Radha et Sita, en référence aux déesses hindoues du même nom. (15) De cette manière, l’exploitation de l’iconographie hindoue sert un propos progressiste, qui va à l’encontre des pensées répressives de l’idéologie de l’Hindutva.

Cependant, ces exemples se font de plus en plus rares dans le cinéma indien de ces dernières années, qui semble privilégier des scénarios prosélytes et excluants tels que Ram Setu (2022), Samrat Prithviraj (2022) ou encore Chhaava (2025). Et si les industries dravidiennes ont longtemps été un refuge pour les cinéphiles aux idées plus libérales, le cinéma de propagande y prend hélas de plus en plus d’ampleur. En témoignent les films des acteurs Richard Rishi et Nikhil Siddhartha, qui ont reboosté leurs carrières agonisantes en servant des récits doctrinaires à travers les films Draupathi (2020) et Rudra Thandavam (2021) pour l’un, et Karthikeya 2 (2022) et Spy (2023) pour l’autre. (16)

La religion au cinéma : bien plus qu’une simple tendance ?

Comme développé précédemment, l’exploitation malsaine de l’iconographie hindoue peut renforcer les divisions de caste, de genre ou de religion et perpétuer des pratiques sociales archaïques. Elle joue aussi un rôle dans la négociation entre religion, laïcité et nationalisme. Enfin, elle est utilisée pour associer l'identité indienne à l'hindouisme, un aspect d'autant plus marqué par la montée du nationalisme hindou extrême.

Si les récits mythologiques ont servi à unifier un pays divisé linguistiquement et religieusement sous le colonialisme britannique en créant un imaginaire collectif hindou ; une étude universitaire de Michelle Marie Desmarais et Birud Sindhav portant sur plusieurs films populaires sortis entre 1995 et 2005 montre toutefois que Bollywood a tendance à promouvoir une identité hindoue normative, marginalisant les minorités et idéalisant des valeurs traditionnelles voire archaïques.

La recrudescence du genre mythologique au cinéma est d’ailleurs un indicateur criant de ce phénomène. Les récentes sorties de Adipurush (2023) et HanuMan (2024), auxquelles s’ajoutent de futurs projets de la même envergure comme le diptyque du Ramayana (2026 et 2027) de Nitesh Tiwari, le Ashwatthama - The Saga Continues de Sachin Ravi ou le Jai Hanuman de Prasanth Verma, s’annoncent tantôt comme un retour aux sources nostalgique, tantôt comme une volonté appuyée de monopoliser la représentation indienne sous le prisme exclusif de l’hindouisme.

De l’art de mélanger fiction et réalité.

Cette prédominance des représentations de figures de l’hindouisme au cinéma est grandement prise au sérieux. D’un côté, les représentations plus satiriques de ces divinités sera vivement critiquée. De l’autre, les acteurs qui les incarnent verront leurs moindres faits et gestes passés au scanner, comme pour évaluer leur légitimité à prêter leur visage à ces icônes.

La réalisatrice Leena Manimekalai a vu son documentaire Kaali (2022) boycotté pour l’une de ses affiches, sur laquelle la déesse Kali est aperçue avec une cigarette à la bouche. La comédie horrifique Laxmii Bomb (2020), avec Akshay Kumar, a dû changer de titre puisqu’il était perçu comme une offense à la déesse Lakshmi. Plus récemment, Ranbir Kapoor a vu un extrait d’interview (datant de 2012) refaire surface suite à l’annonce de son casting dans la saga du Ramayana. En effet, il déclarait être un grand consommateur de bœuf, un scandale pour une partie de la communauté hindoue, fervente végétalienne, qui estime alors que le comédien n’est pas digne de jouer le dieu Rama. (17)

Bref, la frontière entre œuvre fictive, liberté artistique et opinion publique devient de plus en plus fine, si bien que les équipes des œuvres sont régulièrement contraintes de présenter des excuses publiques pour éviter des campagnes de boycott particulièrement agressives.

En conclusion



L'iconographie religieuse dans le cinéma indien ne se limite pas à de simples ornementations. Elle est intrinsèquement liée à la situation sociétale de son pays et sert de véhicule puissant pour la transmission de valeurs, la construction identitaire, la représentation des dynamiques sociales et la négociation des idéologies nationalistes comme religieuses, avec des retentissements significatifs sur la perception de la religion et des différentes communautés qui composent la société indienne.

Le cinéma indien, sous l'influence du BJP et de l'idéologie de l’Hindutva, contribue à promouvoir une vision homogène de la religion hindoue, marginalisant (au mieux), invisibilisant ou diabolisant (au pire) les autres communautés.

L’iconographie religieuse oscille donc vigoureusement entre célébration du patrimoine, critique sociale et instrument politique. Il est donc indéniable que le cinéma indien soit en conséquence le miroir d’une société indienne en pleine mutation, au sein de laquelle la religion, loin d’être un inoffensif apparat, façonne les récits, les identités et les débats contemporains…

mots par
Asmae Benmansour-Ammour
« Quand Nivin Pauly a dit mon prénom, je ne m'en souvenais même plus moi-même. »
lui écrire un petit mot ?