Bannissement de Diljit Dosanjh en Inde : pourquoi son prochain film cause-t-il tant de problèmes ?
25 juin 2025

Réaction justifiée ou complètement démesurée ? Retour sur les événements qui ont conduit à une telle vague de haine envers le comédien…
Sardaar Ji 3, la suite d’une franchise devenue culte.
Pour celles et ceux qui l’ignorent encore, Diljit Dosanjh n’est pas uniquement un chanteur à la renommée internationale. C’est également un acteur polyvalent qui s’est fait une place de choix à la fois au cinéma punjabi et hindi. Le troisième volet de la comédie horrifique Sardaar Ji (connue pour être l’un des plus gros démarrages au box-office du Pendjab), est très attendu par les fans, qui ont hâte de découvrir les aventures du chasseur de fantômes Jaggi.
En février 2025, l’actrice pakistanaise Hania Amir se rend au concert de Diljit à Londres. Des rumeurs commencent à se propager sur la participation de l’actrice au film Sardaar Ji 3 (principalement tourné en Angleterre), qui sera par la suite confirmée par la presse. En effet, la star montante de Lollywood compte bien faire ses débuts en Inde avec ce projet. Déjà très populaire dans son pays depuis ses débuts en 2016 dans le film Janaan mais aussi grâce à la série Kabhi Main Kabhi Tum, Hania n’a cessé d'impressionner par ses prestations et ses choix artistiques. Elle est d’ailleurs la star pakistanaise la plus suivie sur Instagram.
Comme expliqué dans cet article que nous avons publié en 2023, le bannissement à l'encontre des artistes pakisanais n’était plus d'actualité lors de cette annonce. Ainsi, Hania Amir a rejoint le casting du film Sardaar Ji 3 en toute légalité. Tout comme l’acteur Fawad Khan, qui était prêt à revenir à Bollywood avec la comédie romantique Abir Gulaal (là encore, le tournage du film s’est déroulé à Londres, ce qui souligne une crainte encore importante d’amener les artistes pakistanais sur le sol indien).
L’attentat de Pahalgam bouleverse le pays tout entier.
Dans le nord du Cachemire, dans un lieu difficile d’accès, un attentat visant des touristes fait une vingtaine de morts. Aux yeux du gouvernement indien, et notamment du chef du BJP Ravinder Raina, il n'y a aucun doute sur l’origine de ces terroristes : ils sont pakistanais.
Rapidement, Sardaar Ji 3 se retrouve visé par les politiciens d’extrême droite. Des suites de l’attentat, la Federation of Western India Cine Employees (FWICE, qui serait l’organisme mère de toutes les associations liées au cinéma en Inde - selon ce qu’ils disent sur leur site) demande de nouveau à mettre en place un bannissement contre les artistes pakistanais à effet immédiat. Des rumeurs parlent alors de la suppression des scènes dans lesquelles figure Hania Amir, voire d’un remplacement de dernière minute - ce qui demande d’ajouter des nouvelles dates de tournage et représente une perte financière considérable pour les producteurs.
Par la suite, les publications de nombreuses célébrités pakistanaises contre l’Opération Sindoor (série de frappes militaires menées par l’Inde sur le sol pakistanais, officiellement en riposte à l’attentat de Pahalgam), font leur apparition et déclenchent une vive colère. Beaucoup décrivent l’action militaire indienne comme “lâche” (elle s’est produite dans la nuit, et a touché de nombreux civils) et Hania Amir en fait partie. Dans son message partagé en story sur Instagram, on pouvait notamment lire « Tu n’as pas le droit de bombarder des innocents et d’appeler ça de la stratégie. Ce n’est pas être fort. C’est honteux. C’est lâche. » Par la suite, de nombreux comptes pakistanais sur les réseaux sociaux se sont vus bloqués en Inde.
Quant à l’équipe du film, elle préférera garder le silence face à toutes les rumeurs, notamment celle qui stipule que le film produit par White Hill Studios and Story Time Productions (la maison de production créée par Diljit lui-même) a été mis de côté.
Une bande-annonce inattendue et sans concession.
Le 1er juin dernier, la promotion du film Sardaar Ji 3 démarre, mais il faudra attendre la publication de la bande-annonce le 22 juin pour que la toile s'emballe. Non seulement, Hania Amir est créditée en tant qu’actrice principale, mais surtout. son rôle est loin d’être coupé ou minimisé. Avec la chanson “Sohni Lagdi”, le film affirme son positionnement : il ne fera aucun sacrifice artistique et compte sortir tel quel.
Sans surprise, des plaintes sont déposées les unes après les autres par les différents organismes qui militent pour l’exclusion des artistes pakistanais en Inde. Le All Indian Cine Workers Association (AICWA - organisation à but non-lucratif pour les droits des travailleurs du cinéma indien) explique : « Nous condamnons l’ajout de l’actrice pakistanaise Hania Amir dans le film Sardaar Ji 3, produit et porté par le chanteur indien et producteur Diljit Dosanjh. (...) Bien qu'informé de la récente attaque terroriste brutale de Pahalgam, au Cachemire, au cours de laquelle 26 Indiens innocents ont perdu la vie aux mains de terroristes soutenus par le Pakistan ; Diljit Dosanjh a choisi, de manière choquante, de faire appel à une artiste pakistanaise. Cette décision intervient alors que la nation tout entière – 140 millions d'Indiens, le gouvernement, l'opposition et des citoyens de tous horizons – est unie contre le Pakistan et solidaire des familles des martyrs. » Il ajoute que « sa préférence (celle de Diljit, ndlr) pour les talents pakistanais par rapport aux artistes indiens soulève de sérieuses questions sur sa loyauté et ses priorités. ».
La FWICE a quant à elle décidé à travers une lettre de blacklister Diljit des industries cinématographiques, tout en pressant le premier ministre Narendra Modi de révoquer le passeport de l’acteur. Surtout, la fédération demande à ce que la censure bloque la sortie du film en Inde.
Pour les producteurs du film, si l’Inde ne veut pas de leur œuvre, alors ils la diffuseront ailleurs. Ainsi, le 2 juin prochain, il sera possible de découvrir Sardaar Ji 3 un peu partout dans le monde et en France grâce au distributeur Friday Entertainment. Lors d’une interview avec le journaliste Haroon Rashid (BBC Asian Network), Diljit s'exprime enfin sur la stratégie d’une sortie mondiale sans aucune modification du film : « Le tournage a eu lieu en février. A ce moment-là, tout allait bien et par la suite, il s’est passé des choses qui ne sont pas de notre fait, que nous ne pouvons pas contrôler. (...) De toute manière, il y a 100% de perte pour les producteurs parce qu’un pays ne veut pas le diffuser, alors quand ils ont proposé de le diffuser dans le reste du monde, j’ai accepté. »
Une censure qui alimente la haine face à un artiste qui soutient la tolérance.
Ce n’est pas la première fois que Diljit fait face à la censure indienne qui bloque ses films. Le 23 juin, il partage en story sur Instagram la publication de la journaliste Sunayana Suresh : “Censuré avant sa sortie ? J’ai regardé Punjab 95 - et le vrai combat vient à peine de commencer.” Dans cette publication, Sunayana pointe du doigt la manière dont la censure refuse d’accepter le film et exige pas moins de 127 changements. Punjab 95 est une biographie réalisée par Honey Trehan dans laquelle Diljit Dosanjh incarne le militant Jaswant Singh Khalra. Le film est depuis plusieurs mois bloqué et il a peu de chances de sortir en salles compte-tenu du blocus général imposé par la censure face à des films qui osent aborder des sujets qui vont à l’encontre des idéologies du gouvernement d’extrême droite au pouvoir.
Ces mêmes organismes qui imposent de bannir les artistes pakistanais en raison du conflit, ne disent plus rien quand la censure valide sans problème des métrages qui alimentent sans complexe l’image négative du pays voisin (voire même d’autres pays frontaliers avec lesquels il existe un passé conflictuel). Et quand un projet déjà achevé bien avant le bannissement doit sortir, la seule option semble être de tout jeter à la poubelle (littéralement) pour peut-être tout refaire. Mais des films qui ont réussi à être projetés malgré le bannissement, c’est possible. C’était le cas pour Raees, avec notamment l’actrice pakistanaise Mahira Khan, sorti en 2017. Alors pourquoi est-ce si problématique pour Sardaar Ji 3 ?
En conclusion
Diljit a toujours exprimé sa volonté d’utiliser son art pour rassembler, et non pour diviser. Lors de son interview avec Panos A. Panay, président de The Recording Academy et des Grammy Awards, il explique « Des pays sont en guerre, et nous n’avons pas le contrôle sur ce qu'il se passe. Mais je crois que la musique est quelque chose qui unit les pays. Je me sens béni de faire partie de quelque chose qui répande l’amour à travers les nations. »
Il est donc plus important pour lui de ne pas se laisser faire face au boycott. Mais pourquoi se battre à ce point pour Sardaar Ji 3, qui n’est sans doute pas un film qui va bouleverser le monde du cinéma ? Il semblerait que Diljit ait décidé de montrer l’exemple, et d’utiliser ce projet comme outil face aux injustices de plus en plus prégnantes au cœur des industries cinématographiques indiennes.
A l’heure où la censure va jusqu’à demander l’ajout d’une citation du premier ministre pour autoriser la diffusion d’un film (c’est le cas avec Sitaare Zameen Par d’Aamir Khan), la sortie de Sardaar Ji 3 vient souligner l’énorme problématique d’un cinéma trop bridé par son gouvernement, à tel point que les cinéastes ne disposent aujourd'hui plus d’aucune liberté. Et sont dépourvus de celle de raconter leur propre histoire.