Bollywood et compagnie… Silencieux ou complices du génocide palestinien ?
11 août 2025

Tandis que s’accomplit sous nos yeux l’un des nettoyages ethniques les plus documentés de l’histoire moderne, quid des stars de Bollywood, ces icônes adulées par des centaines de millions de personnes ? Certaines d’entre elles semblent avoir choisi la voie du silence. (3)
Ce mutisme est-il le marqueur d’une profonde indifférence ? Ou d’une complicité actionnée par un système politique qui transforme allègrement l’industrie cinématographique indienne en instrument de propagande ? C’est à toutes ces questions que Bolly&Co tente de répondre à travers cet écrit, comme un cri du cœur face à l’insoutenable…
Le BJP, allié du massacre.
Depuis l’arrivée du Bharatiya Janata Party au pouvoir en 2014, l’Inde de l’inénarrable Narendra Modi s’est métamorphosée en complice enthousiaste d’Israël dans son entreprise d’extermination du peuple palestinien. Cette alliance monstrueuse ne repose pas seulement sur des contrats d’armement bien juteux (on parle de plus d’un milliard de dollars selon la Tribune) (4) mais trouve ses racines dans une affinité idéologique profonde entre le suprémacisme hindou de l’Hindutva et le projet colonial sioniste. Narendra Modi était d’ailleurs le premier chef du gouvernement indien à visiter Israël en 2017, renforçant les liens stratégiques entre les deux pays. (5) (6)
Une volte-face infiniment préoccupante lorsqu’on connaît l’histoire de l’Inde avec la Palestine. A l’époque, le Mahatma Gandhi lui-même écrivait que « La Palestine appartient aux Arabes au même titre que l’Angleterre appartient aux Anglais ou la France aux Français ». Nehru, l’un des pères fondateurs de l’Inde moderne, s’était par ailleurs rendu à Gaza lors d’une visite officielle en 1960. (7) (8)
Mais ce chapitre semble avoir été définitivement clos par la politique de Narendra Modi. Au Cachemire, laboratoire à ciel ouvert de l’oppression indienne, plus d’un demi-million de forces d’occupation maintiennent depuis des décennies une campagne de terreur contre la population musulmane. Des rapports de Human Rights Watch et Amnesty International dénoncent des violations massives des droits humains : arrestations arbitraires, disparitions forcées, restrictions sévères à la liberté d’expression... (9) Depuis l’annulation de l’autonomie constitutionnelle du Cachemire en août 2019, le gouvernement Modi interdit toute expression de solidarité avec la Palestine dans cette région martyrisée. Le message est alors limpide : nous appliquons les mêmes méthodes que nos amis israéliens. (10) (11) (12)
De fait, cette convergence stratégique transforme chaque star de Bollywood qui ose exprimer la moindre empathie pour Gaza en traître de la nation et en soutien du terrorisme.
Dans un tel contexte, les stars de cinéma indien, qui évoluent dans une industrie étroitement contrôlée politiquement et socialement, peuvent être soumises à des pressions, les amenant à éviter toute prise de position qui irait à l’encontre de ce climat nationaliste et répressif. L’omerta autour du génocide palestinien reflète alors une prudence liée à cet environnement de répression interne, à la peur des représailles et à une politique gouvernementale qui ne tolère pas la contestation. Ainsi, dans l’Inde fascisante de Modi, pleurer la mort d’un enfant palestinien, c’est un acte subversif.
Les résistantes, ou quand l'humanité survit à la terreur.
Dans ce paysage de lâcheté généralisée, quelques personnalités courageuses refusent de courber l’échine.
Swara Bhaskar (Raanjhanaa, Prem Ratan Dhan Payo, Veere Di Wedding) n’a pas attendu pour dénoncer le massacre. Dès les premières semaines de l’offensive israélienne, elle partageait sur les réseaux sociaux les chiffres accablants des organisations humanitaires, appelait à la fin de l’occupation, refusant de détourner le regard comme nombre de ses homologues.
D'ailleurs, elle écrivait en octobre 2023 sur Instagram : « Si vous n’avez pas ressenti de choc et d’horreur face aux atrocités sans fin d’Israël contre les Palestiniens, à l’occupation forcée des maisons palestiniennes, aux expulsions forcées, à l’intolérance et à la violence des colons israéliens, au meurtre d’enfants et d’adolescents palestiniens, au blocus et aux bombardements de Gaza et des civils à Gaza, y compris les bombardements d’écoles et d’hôpitaux (pour ne pas mentionner l’apartheid et l’occupation), alors je crains que votre choc et horreur face aux attaques du Hamas contre Israël paraissent un peu hypocrites ». Ces mots lui ont valu un cyberharcèlement d’une violence inouïe, des opportunités professionnelles qui s’évaporent et des menaces de mort. Mais l’actrice n’en a cure, privilégiant ses convictions à des rôles au cinéma. (13) (14) (15)
La comédienne Fatima Sana Shaikh (Dangal, Thugs of Hindostan, Aap Jaisa Koi) a également eu le courage de dire tout haut ce que des millions d’Indiens pensent tout bas, réaffirmant que les images de Gaza sont insoutenables et que la communauté internationale a le devoir d’agir. Immédiatement, les chiens de garde du régime l’ont accusée de choisir son camp pour des raisons confessionnelles, et ce du fait de son ascendance musulmane. (16) Un raccourci d’une bêtise infinie, voilée d’islamophobie décomplexée…
Kalki Koechlin (Dev D, Zindagi Na Milegi Dobara, Yeh Jawaani Hai Deewani) - accessoirement en couple avec Guy Hershberg, un artiste israélien - a aussi payé le prix fort de sa lucidité. En octobre 2024, elle a dénoncé les actions du gouvernement israélien dans le nord de Gaza comme « rien de moins qu'un nettoyage ethnique », reprenant un terme largement utilisé dans les rapports d’ONG et d’experts internationaux et partageait un appel à toutes les organisations internationales pour contraindre Israël à arrêter ses offensives. La violence des réactions qu’elle a reçues en ligne l’a contrainte à supprimer son compte X, ne supportant plus la désinformation et la toxicité dont elle était victime. (17) (18)
L’actrice dravidienne Kani Kusruti (Girls Will Be Girls) a quant à elle profité de son passage à Cannes pour afficher - à sa manière - son soutien à la cause palestinienne. Son film, All We Imagine as Light (2024), est alors sélectionné en compétition officielle. Et lors de la projection, Kani s’est saisie de sa montée des marches comme d’une opportunité, arborant fièrement un sac à main en forme de pastèque, qu’elle a régulièrement brandi. Pour ceux auxquels la symbolique échappe, la pastèque fait ici allusion à la Palestine, notamment sur les réseaux sociaux pour y éviter la censure. Ainsi, cet accessoire de mode constituait surtout une déclaration politique forte de la part de Kani. (19)
De leur côté, Deepti Naval (Chashme Buddoor), Soni Razdan (Saaransh), Radhika Apte (La Saison des Femmes), Samantha Ruth Prabhu (Eega), Dia Mirza (Sanju) et Gauahar Khan (Ishaqzaade) figurent parmi les rares actrices à avoir régulièrement partagé des messages d’alerte sur la catastrophe humanitaire palestinienne, bravant le climat de terreur instauré par le régime de Modi. (20)
Le phénomène "All Eyes on Rafah" a révélé l’ampleur de la pression exercée sur les célébrités. Quand cette image - générée par IA et montrant des tentes dans le désert - a été partagée plus de 44 millions de fois sur Instagram, quelques stars indiennes ont osé la relayer. Par elles, on compte notamment Sonam Kapoor - parmi les premières à l’avoir fait, mais aussi Kareena Kapoor Khan, Alia Bhatt, Varun Dhawan, Sonakshi Sinha, Triptii Dimri ou encore Madhuri Dixit. (21) (22) (23) (24) Toutefois, la meute de trolls pro-Modi - comprenez une armée de sbirs qui postent sans relâche pour opérer un harcèlement organisé - s’est instantanément déchaînée sur eux, si bien que Madhuri a supprimé son post dans les heures qui ont suivi. (25) Un symbole criant de la capitulation de Bollywood face aux intimidations fascistes... Dans le sud du pays, d’autres vedettes ont suivi ce partage, presque comme un passage obligé telles que Trisha, Rashmika Mandanna, Dulquer Salmaan mais aussi Parvathy. (26)
Quant à Priyanka Chopra Jonas, pourtant ambassadrice de l'UNICEF, elle aura mis des mois avant de partager une série de stories sur son compte Instagram au sujet de la crise humanitaire en Palestine. (27) Cette démarche faisait justement suite à la mention de l’actrice dans la liste du hashtag #Blockout2024, durant laquelle des célébrités étaient ciblées par des campagnes de boycott en conséquence de leur inaction face à l’horreur en Palestine. (28)
Le cas Shahrukh Khan est toutefois plus complexe. Si l’acteur avait verbalisé son soutien à la Palestine dans un tweet datant de 2014 (29), la superstar est depuis restée particulièrement silencieuse. Il y a quelques semaines, certaines sources (qui ont depuis supprimé leur publication) lui prêtaient des propos dénonçant le massacre orchestré par l'État israélien. Des déclarations que le comédien n’a jamais confirmé.
Les opportunistes, ou quand la lâcheté se pare de faux semblants.
Entre les courageuses et les complices avoués, une catégorie particulièrement révoltante mérite notre attention : celle des opportunistes qui tentent de ménager la chèvre et le chou, révélant par leurs contradictions la profondeur de leur cynisme.
Nushrratt Bharucha (Pyaar Ka Punchnama, Sonu Ke Ki Sweety, Ram Setu) incarne parfaitement cette hypocrisie institutionnalisée. En octobre 2023, elle se trouvait en Israël pour participer au Festival international du film de Haïfa lorsqu’éclataient les missiles entre l’offensive israélienne et l’attaque du Hamas. Bloquée dans le pays pendant les premiers bombardements de Gaza, elle a vécu de l’intérieur les premières heures de ce qui allait devenir l’horreur du massacre. Rapatriée avec l’aide de l’ambassade indienne, elle a remercié publiquement le gouvernement israélien pour son aide, se plaçant de facto du côté des bourreaux dans les heures cruciales où se mettait en place la machine génocidaire.
Mais le cynisme de l'actrice ne s’arrête pas là puisque quelques mois plus tard, quand la vague "All Eyes on Rafah" a déferlé sur les réseaux sociaux et qu’il est devenu politiquement rentable d’afficher une façade compassionnelle, elle a partagé l’image virale sur Instagram. Ce retournement de veste opportuniste a provoqué l’indignation légitime des internautes, qui n’ont pas manqué de souligner sa contradiction flagrante : comment celle qui remerciait Israël en octobre pouvait-elle pleurer les victimes de Rafah en mai ? (30)
En ce qui concerne Tara Sutaria (Student of the Year 2, Marjaavaan, Tadap), cette dernière a choisi une voie encore plus cruelle. Durant la période où le massacre a éclaté, l’actrice s'est affichée, tout sourire, aux côtés de l’ambassadeur israélien en Inde. En parallèle, la star ne s'est jamais exprimée sur le génocide en cours. (31)
Les complices, ou quand le star-system épouse la propagande.
À l’autre extrémité du spectre moral, certaines célébrités ont choisi d’embrasser ouvertement la rhétorique génocidaire de l’alliance Modi-Netanyahu.
Anupam Kher, courtisan patenté du pouvoir, s’est empressé de légitimer le massacre après le 7 octobre, reprenant mot pour mot la propagande gouvernementale dans ses déclarations publiques. L’acteur n'a d’ailleurs jamais caché sa connivence avec Narendra Modi, dont le gouvernement a notamment financé son dernier film, Tanvi The Great (2025). Il avait effectivement déclaré que « l’Inde et Israël sont amis. Ces deux pays ont survécu à la terreur. Un israélien pourra comprendre la situation critique d’un hindou du Cachemire. » (32)
Kangana Ranaut (Fashion, Tanu Weds Manu, Queen), figure de proue de l’extrême droite bollywoodienne et fraîchement élue au parlement sous l’étiquette BJP, a quant à elle franchi tous les seuils de l’indécence. En octobre 2023, elle a qualifié le Hamas de « Raavan moderne » - en référence à la figure démoniaque de la mythologie hindoue - et s’est publiquement affichée avec l’ambassadeur israélien Naor Gilon. (33) Dans ses posts Instagram, elle a tenu des déclarations islamophobes et affirmé que « l’Inde se tient aux côtés d’Israël dans la lutte contre le terrorisme radical ». Elle a affirmé son « soutien inconditionnel à Israël, ses politiques et ses actions » contre les « terroristes islamiques radicaux » du Hamas, qu’elle considère comme « la plus grande menace pour la paix mondiale ». Plus obscène encore, elle a suggéré que les partisans de la Palestine en Inde représentaient un danger pour la sécurité nationale, alimentant directement la machine à broyer les insoumis. (34)
Comment écraser toute voix dissidente en 4 étapes ?
Derrière cette orchestration du silence, se cache une mécanique de terreur d’une sophistication effroyable. Les célébrités qui osent exprimer la moindre solidarité avec la Palestine subissent des campagnes de harcèlement d’une violence extrême, organisées par des trolls du BJP et des influenceurs de l’extrême droite hindoue.
Leurs armes ? Signalements massifs pour faire disparaître les publications, accusations de haute trahison, parallèles obscènes avec les attentats de Mumbai et surtout, la tactique du "whataboutism", que voici : « Pourquoi ne parlez-vous pas du Cachemire ? Du Bangladesh ? ». Une stratégie de diversion qui vise à paralyser toute expression d’empathie pour les victimes palestiniennes... Et cette mécanique fonctionne à plein régime depuis octobre 2023. De fait, chaque star qui ose dire non au génocide devient automatiquement la cible d’une campagne de destruction systématique de sa réputation et de sa carrière. (35) (36)
Bollywood, l'industrie de la honte.
Mais ce qui se joue aujourd’hui dépasse largement la question palestinienne, puisque l’on assiste à la transformation d’une industrie culturelle en instrument de propagande fasciste. Bollywood, jadis symbole du soft power indien et de ses valeurs pluralistes, est devenu un rouage de la machine de guerre idéologique de Modi. (37) (38)
Dès 2018, de nombreuses stars de Bollywood avaient fièrement posé aux côtés de Benjamin Netanyahu lors de sa visite officielle en Inde, orchestrée par le premier ministre indien. Parmi elles, Amitabh Bachchan, Abhishek Bachchan, Aishwarya Rai Bachchan, Karan Johar, Sara Ali Khan, Vivek Oberoi, Abhishek Kapoor ou encore Urvashi Rautela… (39) (40) (41) (42)
Face à elles, les rares voix qui résistent le font au prix de leur tranquillité, de leur carrière, parfois même de leur sécurité. Elles sont les dernières représentantes d’une tradition d’engagement, que l’industrie cinématographique indienne a largement abandonnée au profit de la soumission politique.
Le silence de Bollywood sur Gaza n’a donc rien de neutre. C’est un silence complice, un silence qui cautionne, un silence qui rend possible la poursuite du massacre. Chaque star qui détourne le regard des charniers de Gaza porte sa part de responsabilité dans la normalisation de l’inacceptable.
L'art au service de l'abominable.
Dans les salles obscures où résonnent encore les échos des films de Bollywood, une question brûlante se pose. Peut-on encore considérer comme des artistes ceux qui choisissent de se taire face à un génocide ? Peut-on encore applaudir des stars qui préfèrent leur profit à la défense de causes humanistes ?
L’industrie cinématographique indienne traverse une crise morale d’une ampleur historique. En choisissant massivement le silence face au massacre de Gaza, elle révèle sa métamorphose en usine à propagande abrutissante pendant que s’accomplissent les pires crimes contre l’humanité.
Pour illustrer la gravité de la situation, les mots du Ministre israélien de la Défense Yoav Gallant en octobre 2023 résonnent encore : « Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence ». (43) Restent également les déclarations effarantes du Ministre des Finances Bezalel Smotrich qui annonçait en mai 2025 « Gaza sera totalement détruite ». (44) Ces déclarations, confirmées par Amnesty International, sont des éléments à charge incontestables contre le gouvernement d’Israël.
Pourtant, rien n’y fait. Le mutisme de stars influentes comme Aamir Khan – d’habitude enclin à s’exprimer sur de nombreuses causes, Katrina Kaif, Vicky Kaushal, Deepika Padukone ou encore Ranveer Singh en devient particulièrement assourdissant, là où leur influence et leur popularité – non négligeables dans de nombreux pays du Moyen-Orient – auraient permis de faire la lumière sur le drame palestinien. (45)
D’aucuns diraient que les pressions internes sont trop fortes, que le gouvernement n’a pas fini d’opérer son influence pour réduire au silence ces vedettes particulièrement suivies… Néanmoins, cette pression n’a pas empêché d’autres personnalités, parmi lesquelles des actrices ultra-scrutées comme Kareena Kapoor Khan et Alia Bhatt – de partager ne serait-ce qu’un modeste post, qu’une timide story… Comme pour nous rappeler qu’elles n’ont pas totalement bradé leur humanité au gouvernement Modi.
Pour étayer vos connaissances sur le contexte socio-politique de l’Inde et son lien étroit avec le septième art, nous vous invitons à consulter nos articles d’investigation sur le pouvoir de la propagande et sur l’iconographie religieuse au cinéma, qui vous apporteront un éclairage sur ces sujets.
En conclusion
Le fait que l'Inde soutienne de telles exactions, que son industrie se mure dans le silence face aux atrocités humanitaires du peuple palestinien et que les quelques personnalités qui osent s'exprimer soient systématiquement harcelées et accusées de traîtrise… Il est ainsi bon de s’interroger sur l’importance accordée par le public à ses personnalités publiques qui, pour certaines, ne semblent pas résolues à utiliser leur voie pour des causes qui les dépassent. Si la cause palestinienne - qu’il est désormais impossible de méconnaître - est une illustration criante de la posture d’autruche employées par de nombreuses célébrités, elle vient surtout mettre en exergue leur incapacité à prendre des risques militants et à se satisfaire d’une communication lisse et apolitique. Mais surtout, cela témoigne du virage dangereux que prend la politique locale qui, par le truchement de son cinéma, propage son idéologie extrême tout comme celle de son allié…